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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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administrerait l’électrochoc qui le ramènerait dans la vie et lui permettrait de mourir dignement. Seuls les vivants savent mourir.
    Un son saccadé de fusillade dévala de la colline voisine, et les chiens assoupis reprirent leurs aboiements de bêtes torturées. Cyprien arpentait la petite terrasse en pensant aux grands malheurs qui s’annonçaient dans son pays. Il ne souhaitait pas aider ce pays qui ne méritait que de mourir tellement il s’était nourri de mensonges et de faux prophètes. Il ne pouvait rien faire pour sa famille, déjà morte, condamnée par le sida. Ses parents ? Ses amis ? Ils brandissaient déjà leurs machettes neuves arrivées récemment de Chine et s’exerçaient à dépecer du Tutsi après avoir fumé un joint ou bu quelques bières que les chefs de secteur distribuaient.
    — Valcourt, tu aimes Gentille ?
    Il répondit calmement « oui », comme s’il le savait depuis des années et que cet amour fut dans l’ordre des choses. Il répéta « oui, je l’aime », comme s’ils dînaient dans un restaurant familier, comme s’ils avaient eu le même âge et que rien n’était interdit. Gentille n’avait pas bougé, ni tressailli, mais elle chavirait déjà dans un autre monde. Le monde du cinéma et des romans, car de toute sa vie elle n’avait entendu ces mots qu’au cinéma et ne les avait lus que dans les œuvres des auteurs romantiques qu’elle avait étudiées à l’École de service social de Butare.
    — Valcourt, tu l’aimes pour coucher avec elle ou tu l’aimes pour vivre avec elle ?
    — Les deux, Cyprien, les deux.
    Gentille posa sa tête sur l’épaule de Valcourt, qui inclina la sienne pour que leurs cheveux se mêlent. Comme dans une éruption, tous les sucs de la vie coulèrent entre ses cuisses tremblantes. Un orgasme de tendresse et de mots.
    — Tu n’es pas bien ? demanda doucement Valcourt qui la sentait frissonner.
    — Oh oui, trop bien peut-être. Pour la première fois de ma vie, je sais que je vis une vraie vie. Viens, touche. Quand on m’enseignait la poésie à l’école, on m’expliquait que les mots pouvaient mener à l’extase.
    C’était en tout cas une autre vie, car ne se souciant pas de la présence de Cyprien, elle prit sa main et la guida jusqu’à son sexe ruisselant. Valcourt fut effrayé par toute cette énergie, par ces forces mystérieuses du corps et de l’âme qu’il avait déclenchées. Et ce n’est pas la joie de dire je t’aime qui l’habitait en ce moment, mais le désespoir de la perdre. Car elle partirait, il en était certain.
    — Valcourt, ta Gentille, elle est tutsie, même si vous jurez le contraire. Sa mort est déjà écrite dans le ciel. Alors, si tu l’aimes, tu fais tes valises, tu oublies le film, la télévision qui ne fera jamais de télévision parce que nous sommes trop pauvres, tu oublies le Rwanda et demain tu prends l’avion.
    Gentille protesta. Elle n’était pas une Tutsie.
    — À moi, tu peux le dire, ce n’est pas grave, je ne le répéterai à personne. Tu as le nez droit et effilé comme un couteau, la peau couleur de café au lait, des jambes longues comme celles des girafes, des seins si pointus et fermes qu’ils percent ta blouse, et des fesses, des fesses… qui me rendent fou. Excuse-moi. Voilà. Tu possèdes une carte de Hutue parce que tu l’as achetée ou parce que tu as couché avec un fonctionnaire, mais à une barrière quand tu seras interceptée par une bande de petits Hutus noirs comme la nuit, ils ne regarderont pas ta carte, ils verront tes fesses, tes jambes, tes seins, ta peau pâle et ils se feront la Tutsie et ils appelleront leurs amis pour qu’ils se la fassent aussi. Et toi, tu seras allongée dans la boue rouge, les jambes écartées, une machette sur la gorge, et ils te prendront, dix fois, cent fois, jusqu’à ce que tes blessures et ta douleur fassent disparaître ta beauté. Et quand les blessures, les meurtrissures, le sang séché t’auront enlaidie, quand tu ne seras plus qu’un souvenir de femme, ils te jetteront dans le marais et tu y agoniseras rongée par les insectes, grignotée par les rats ou déchiquetée par les buses. Je veux te terrifier, Gentille. Il faut cesser de vivre comme si nous pouvions vivre encore normalement.
    Un autobus dévalait la colline en direction de la ville dans un grincement de freins et un claquement de tôle. Des hommes chantaient en chœur, faussant et riant comme des hooligans qui reviennent

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