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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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accompagnée de quelques amis et d’un sergent de la gendarmerie qui surveillait le carrefour. Joséphine avait tenté de la retenir. « Plus nous baissons la tête entre les épaules, plus nous marchons rapidement en faisant semblant que nous ne les voyons pas, plus ils sont sûrs de pouvoir nous exterminer. Notre silence et notre passivité leur donnent du courage et des forces », avait répondu Émérita. Elle avait décrit les menaces, les jeunes filles entraînées de force derrière la bicoque, quand la nuit tombait, les cadavres qu’on retrouvait chaque matin le long de la route et les maisons incendiées. On savait que c’étaient eux. De nombreux témoins les avaient vus. Il fallait les arrêter. Le gendarme, embarrassé, avait expliqué qu’il ne pouvait sur des preuves si minces demander une enquête officielle et que la plaignante ainsi que ses témoins devraient se présenter devant le parquet pour déposer une plainte « en bonne et due forme ». Pour faire bonne mesure, il avait demandé sans trop insister que les miliciens se dispersent et remisent leurs armes. Ils s’étaient éloignés d’une centaine de mètres, en riant grassement et en proférant des injures. Émérita triomphait. Elle leur avait fait un bras d’honneur. Ils reviendraient, bien sûr, mais elles et ses amis recommenceraient. En marchant vers la petite maison, elle avait raconté à sa sœur et aux quelques amis qui l’entouraient comment, avec des arcs et des flèches, des gourdins et des pierres, des villages du Bugesera s’étaient défendus contre les soldats et avaient échappé aux massacres de l’année précédente. « Bien sûr qu’ils se sentent tout-puissants. Nous ne levons jamais le petit doigt, nous marchons comme des agneaux et acceptons de mourir en bêlant. » Ils avaient acquiescé avec plus de politesse que d’enthousiasme, certains déjà convaincus qu’elle venait de signer leur arrêt de mort. La jeune femme les avait quittés pour aller prendre une douche. Elle aurait préféré ne pas effacer ce parfum d’amour à la fois âcre et doux qui se dégageait de son corps et qu’elle n’avait cessé de renifler avec volupté depuis qu’elle avait quitté l’hôtel, mais les affaires sont les affaires, et une businesswoman, comme c’était inscrit sur sa carte, se devait d’être d’une propreté irréprochable. Elle chantait, ou plutôt hurlait : « Parlez-moi d’amour » quand, par la petite fenêtre, on avait laissé tomber une grenade française ayant transité par Le Caire puis par le Zaïre avant d’atterrir dans la douche d’Émérita. Joséphine, qui épluchait des pommes de terre au moment de l’explosion, raconta tout à Valcourt. Elle lui dit aussi de ne plus jamais venir la visiter et de ne pas se présenter aux funérailles. Non, ce n’est pas qu’elle entretînt quelque rancœur à son égard. Elle ne pensait qu’à sa sécurité. « Rentrez au Canada, c’est mieux pour vous. » Et elle le serra dans ses bras, non pas de loin comme font les Rwandais, du bout des mains, en maintenant une distance entre les corps, mais comme on embrasse un ami très cher.
    Quand il retourna vers son taxi qui l’attendait près du barrage routier, un gendarme l’interpella.
    — Vous connaissez cette terroriste Émérita ? Avait-elle des amis que vous pouvez identifier ?
    — Oui, moi.

10
    Une grande Primus, deux grandes Primus, un plongeon dans la piscine, un peu de soleil brûlant, une troisième grande Primus, un autre plongeon, puis dormir jusqu’à demain, sans parler à personne, même pas à Gentille, jusqu’au bruyant décollage des corbeaux et des buses vers les dépotoirs comblés pendant la nuit d’ordures fraîches, vers le bord des routes et des rues jonchées de quelques nouveaux cadavres que personne n’osait ramasser. Voilà ce que désirait Valcourt quand il pénétra dans le hall de l’hôtel, accueilli par Zozo toujours plus gentil qu’il n’était nécessaire. « Beaucoup de messages pour vous, monsieur Valcourt, et beaucoup de Canadiens à l’hôtel. »
    On aurait dit un dimanche à la piscine à Kigali. Toute la colonie canadienne du Rwanda s’égayait. Il y avait bien quelques coopérants timides ou réservés et quelques religieuses qui se demandaient pourquoi on les avait convoquées, mais la majorité d’entre eux vivaient ici une grande aventure meublée d’un prestige, d’un pouvoir et d’une liberté qu’ils n’avaient jamais

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