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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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des centaines de milliers de croyants, de bons chrétiens raisonnables, aucune de ces plaies de l’humanité n’aurait sévi. Les gens qui charcutent l’humanité à grands coups de baïonnettes sont tous des gens bien et respectables. Et quand les circonstances ne les portent pas à la guerre, ils tournent le dos à l’injustice. Ou plutôt, ils organisent l’injustice. Et quand ils ne l’organisent pas, ils la tolèrent, ils l’encouragent, ils s’en font les complices et les financiers. Valcourt, je ne me sens plus chrétien depuis que je vous ai demandé de ne pas rapporter mes propos sur les massacres de l’année dernière. J’en ai assez d’être raisonnable. Oubliez ce que j’ai dit au sujet de votre mariage. J’ignore si ce n’est qu’un vieux réflexe de curé ou une tentative pour rire un peu de moi. Bien sûr que je vais vous marier et j’oublie que vous m’avez déjà confié que vous étiez divorcé. Vous ne savez pas quel bonheur ce sera pour moi de bénir l’union de deux personnes qui s’aiment, même si Gentille est beaucoup trop jeune pour vous. Cela, je le crois et le maintiens. Nous célébrerons ce mariage, dimanche de la semaine prochaine, le 10 avril, et le baptême aussi.
    Valcourt allait se lever quand le vieux prêtre lui prit la main en la serrant et lui demanda de rester. Il ralluma sa pipe, puis ouvrit un petit buffet dont il extirpa une bouteille et deux minuscules verres finement ciselés. « De la fine qui vient de chez moi, en Champagne. » Il fit cul sec et se servit une autre rasade. « Les verres sont trop petits. »
    — Je n’en peux plus de me taire. Nous sommes des milliers de religieux en Afrique qui avons choisi le parti du silence, pariant sur la présence et la durée. Nous soutenons que Dieu se situe au-delà des combats des hommes. Dans ces affrontements, nous choisissons presque toujours la pérennité de l’Église. Nous ne sommes pas seuls. Vos organisations humanitaires préfèrent collaborer avec le dictateur plutôt que de le dénoncer. Nous aussi. Nous le faisons essentiellement pour les mêmes raisons. Si nous parlons, car c’est de cela qu’il s’agit, nous devrons partir, et la situation des démunis empirera. C’est souvent vrai. Il ne faut pas jeter tous les curés de ce continent, les religieux et les humanitaires, dans la même poubelle du silence complice. Mais nous avons, nous de l’Église du Christ, moins d’excuses que les autres. Précisément parce que notre enseignement et notre foi parlent de la dignité de l’homme, de respect, de justice et de charité. Magnifique parole vide de sens et de réalité, parce que depuis des décennies nous cautionnons au nom d’un avenir improbable et d’une éternité abstraite les pires crimes qu’on puisse imaginer. Si je pouvais témoigner devant un tribunal, je ferais emprisonner tous les membres du gouvernement et la moitié au moins des experts internationaux du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale, qui nourrissent sans scrupule aucun l’appétit insatiable de tous les dictateurs de l’Afrique. Je vais commettre le plus horrible des sacrilèges, Valcourt.
    Le vieux prêtre baissa lentement la tête jusqu’à ce qu’elle repose presque sur ses genoux. Puis d’un mouvement brusque, il se redressa.
    — Depuis près de trente ans, le colonel Théoneste, vous le connaissez, vient se confesser une fois par semaine. C’est un bon père de famille et un bon chrétien. Il est venu hier et ses premières paroles ont été : « Mon père, je m’accuse de préparer un grand massacre, le massacre final. » Ce n’est pas au représentant de Dieu qu’il parlait, c’était à un homme qu’il confiait un secret. Non, pas un secret, des informations, des tonnes d’informations. Voilà, Valcourt, ce n’était pas une confession, mais plutôt une délation. Je ne lui ai pas donné l’absolution. Prenez des notes.
    Valcourt sortit son carnet.
    « Élimination du président qui a décidé d’accepter des élections libres… Liste de mille cinq cents noms… tous les leaders du Parti libéral et du PSD… priorités : Landau, Faustin, la première ministre Agathe… les fonctionnaires et professionnels hutus modérés… tous les Tutsis détenant des postes importants. Travail exécuté par la garde présidentielle… puis mobilisation des milices dans chaque quartier de la capitale, établissement des barrages… contrôles d’identité… élimination

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