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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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connus. Leurs subordonnés les appelaient « chef », et ils se comportaient ainsi. Tous les professeurs de l’Université de Butare avaient été convoqués, ainsi que les cadres du gouvernement du Québec prêtés aux ministères dans lesquels ils tentaient d’installer un minimum de rigueur auprès d’homologues mal payés, pendant que leurs patrons vidaient la caisse sans se cacher. Il y avait même cet ingénieur forestier chargé de protéger la grande forêt naturelle de Nyungwe dans laquelle poussaient, comme dans une grande ferme bien organisée, des milliers de plants de marijuana. Son salaire de même que celui de plusieurs forestiers et le coût des études sur les essences étaient assumés par le gouvernement canadien. Il connaissait le trafic, ce petit homme chauve et obséquieux, si laid que les prostituées de l’hôtel acceptaient avec un dégoût qu’elles ne dissimulaient pas ses avances maladroites. Chacune de ces bonnes personnes regroupées autour de la piscine avait vu un collègue rwandais disparaître mystérieusement ou des fonds s’évanouir comme par magie. Ils en parlaient entre eux, presque toujours sur le ton de la blague, comme dans une taverne on raconte une histoire de pêche ou une aventure sexuelle. De toute manière, expliquaient-ils quand ils acceptaient avec mauvaise grâce d’aborder le sujet, ils étaient totalement impuissants. S’ils parlaient, ils ne seraient pas crus. Pire, si jamais on les croyait, le programme serait annulé et ils redeviendraient des fonctionnaires anonymes.
    Sous le grand auvent, le personnel de l’ambassade distribuait des walkies-talkies et un plan d’évacuation de tous les Canadiens. Le terrorisme tutsi croissait, expliquait la consule, on parlait d’une percée de l’armée du FPR vers la capitale à partir de la région de Byumba. Tout cela n’était que précautions, l’application de mesures administratives, pour rassurer Ottawa que la rumeur médiatique inquiétait. Il ne fallait pas paniquer cependant : l’armée rwandaise, bien appuyée par ses conseillers français qui étaient très actifs, contrôlait la situation.
    Valcourt demanda des nouvelles de l’enquête sur l’assassinat du frère Cardinal. Le rapport de la police rwandaise était formel. Le petit frère qui organisait des coopératives et recueillait des personnes déplacées avait été tué par ceux qu’il protégeait, des Tutsis déplacés ou des ouvriers déguisés en militaires. Le motif était le vol. Lisette avait prononcé ces phrases sur un ton péremptoire d’institutrice qui s’adresse à un élève souffrant de difficultés d’apprentissage.
    — Vous voulez rire de moi, dit-il à la diplomate, qui se demandait si au moins elle aurait le temps d’aller jouer un neuf trous avant que le soleil tombe.
    — Monsieur Valcourt, les intellectuels comme vous ne comprendront jamais rien. De petits drames individuels ne doivent en aucun cas remettre en question les relations entre des États. Vous êtes trop sentimental pour vivre dans ce pays.
    Élise aussi s’était présentée, obéissant aux ordres de sa patronne surnommée la Comtesse, qui faisait carrière dans la coopération comme d’autres font carrière dans la diplomatie ou dans la fraude, ce qui dans ce pays en faisait une véritable professionnelle. Apparemment, Élise s’amusait beaucoup de ce soudain branle-bas. Elle s’amusait trop, ridiculisant les étudiants stagiaires, inquiets au même titre que les vétérans. Ses commentaires étaient trop caustiques, son humour, trop ironique. La Comtesse lui en fit la remarque, lui rappelant que tout le programme de dépistage du sida était financé par ce gouvernement qu’elle ridiculisait. Élise répondit en hurlant que tous les assassins de ce pays adoraient le Canada, pays si digne par son silence, par sa neutralité. Et parce qu’elle ne pouvait séparer ses émotions de ses mouvements, ses pensées de ses cris, elle poussa la Comtesse dans la piscine qui puait le chlore. On entendit quelques éclats de rire, mais surtout le silence scandalisé, plein de reproches et de mépris pour ce geste de colère qui était si peu canadien. Les communautés d’expatriés entretenaient une unanimité de surface. Elles s’entre-déchiraient férocement au téléphone ou dans des réunions derrière des portes closes. Mais, en public, la solidarité était de mise, et si on la remettait en question, on devenait vite persona non grata, les

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