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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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Belge, propriétaire de l’hôtel depuis quarante ans, observait comme chaque jour le va-et-vient. Sa femme, son fils et lui y passaient bien huit heures par jour, rejoints périodiquement par tout ce que la ville universitaire comptait d’expatriés perclus et de professeurs rwandais rêvant d’enseigner dans une université canadienne. Le reste des tables était peuplé par une marée sans cesse renouvelée de coopérants étrangers et d’homologues rwandais. En apparence, ne sévissait ici aucun des démons, aucune des folies qui depuis longtemps déchiraient les autres régions du pays. Il faut dire qu’à Butare les Tutsis étaient très nombreux et que les Hutus du Sud étaient plutôt modérés. Quelques miliciens s’étaient bien présentés au bourgmestre, munis depuis peu de papiers signés par un colonel de l’état-major, mais le magistrat les avait fait reconduire jusqu’aux limites de la commune sans même les recevoir. Quand monsieur Robert vit Gentille et Valcourt, qui tenait une valise, se diriger vers la grande table ronde, il fut déçu. Si Gentille, la plus belle femme de Butare, arrivait ainsi avec Valcourt en lui tenant la main, c’était très sérieux. Il ne s’était jamais fait d’illusions, mais rien n’interdit à un Belge ventripotent de rêver, surtout s’il est riche et s’il vit en Afrique. Valcourt, lui, tremblait un peu en saluant tous ces gens qu’il connaissait au moins de vue. Gentille transgressait une à une toutes les lois qui régissaient le comportement rwandais entre homme et femme. Elle proclamait, elle affirmait. Depuis quelques jours, elle le précédait lorsqu’ils entraient dans un commerce ou dans un restaurant. Quand Valcourt parlait d’elle, de leur relation ou de leurs projets, elle ne baissait pas la tête pour poser humblement son regard sur le sol, elle se faisait encore plus droite, comme une statue provocante, les reins cambrés, le regard éclatant. Il l’avait connue la démarche hésitante, les épaules voûtées, le regard fuyant, dissimulé par les paupières mi-closes. Sa voix n’était qu’un murmure et son rire, un mince et timide sourire qu’elle couvrait d’une main gênée. Aujourd’hui, se disait Valcourt, elle n’hésiterait pas à l’embrasser en public si tel était son désir.
    On ajouta deux chaises et autant de Primus. Ce fut Gentille qui annonça leur mariage, nouvelle qui fut accueillie avec quelques sourires mais sans émotion réelle. Ces vieux routiers de la colonisation et de la coopération en avaient vu des mariages entre expatrié et nymphette rêveuse ou ambitieuse. Leur volonté de vivre au Rwanda ne les étonnait pas davantage. Au début, c’est toujours ce qu’on dit. Mais ils leur souhaitaient beaucoup de bonheur. Valcourt évoqua la situation qui se détériorait à Kigali et dans les environs de la capitale. Un rouquin belge, qui enseignait la philosophie depuis la fondation de l’université en 1963, lança en riant : « Régulièrement, il faut qu’ils s’entretuent. C’est comme le cycle menstruel, de grandes coulées de sang, puis tout revient à la normale. » Gentille se leva et posa la main sur l’épaule de Valcourt.
    — Finalement, nous ne dormirons pas ici cette nuit, Bernard. Nous irons chez papa.
    En arrivant devant la grande maison de brique entourée de son impénétrable haie de rugo, Gentille demanda à Valcourt d’attendre à l’extérieur pendant qu’elle annoncerait la nouvelle à son père. Il s’assit sur un rocher à quelques mètres de la maison. Au loin scintillaient les lumières de l’ancienne capitale qui s’endormait dans l’insouciance, puis, entre cette toile de chandelles vacillantes et lui, un immense trou aussi noir que silencieux. Mais, après quelques secondes, son regard qui s’habituait à l’obscurité décela à gauche un filet de fumée. Puis deux, dix, cent et mille. Mille, dix mille petits trous de lumière perçaient le couvercle de la nuit et laissaient fuir autant de petits rubans blanchâtres. Et de ce couvercle percé de dix mille étoiles, comme un ciel inversé, dix mille respirations douces, hoquets, aboiements étouffés, pleurs timides, rires retenus, s’élevaient pour composer une sourde et chaude rumeur. Le silence bruissait d’un langage qui était celui des collines. Et selon qu’il pensait aux hommes accrochés aux flancs de la colline ou à la paix qui l’envahissait, Valcourt pouvait choisir d’écouter soit le

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