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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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nature, toute pente abrupte a été conquise par le travail patient de l’homme, conquête exemplaire de l’humain sur l’indomptable. Quelle illusion ! Pendant que nous défrichions chaque centimètre carré de ces pentes vertigineuses, plantant des haricots là où ne poussaient que des cailloux et des ronces, et des bananes à la place des chardons, caché derrière une haie de rugo, un cousin attendait son cousin pour le tuer et ainsi prouver son identité hutue. Notre grande et belle famille, ni hutue ni tutsie, commença à se déchirer comme une meute de chiens affamés et fous. Une partie de la colline s’éparpilla, quelques-uns au Burundi, où les Tutsis dominent, certains au Zaïre, la majorité en Ouganda. Mon fils, aujourd’hui, nous avons bouclé le cercle de l’histoire et de l’absurde. Le chef des interhamwes, qui ont juré d’égorger tous les Tutsis et de les renvoyer par le fleuve Kagera jusqu’en Égypte, est un Tutsi. C’est un oncle de Gentille. Le numéro deux du FPR, l’armée tutsie qui de l’Ouganda prépare la vengeance, est un Hutu, lui aussi un oncle de Gentille. Tous les deux – ils ne le savent pas, mais l’un ou l’autre le fera –, ils veulent tuer Gentille, qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Gentille est comme le fruit de la terre rouge de cette colline, un mystérieux mélange qui réunit toutes les semences et toutes les sueurs de ce pays. Fils, vous allez épouser le pays qu’on veut tuer, le pays qui ne serait que rwandais, le pays des mille collines que tous, sans nom et sans origine, nous avons façonné comme des imbéciles patients et endurcis. Fils, il faut fuir la folie qui invente des peuples et des tribus. Elle ne respecte ni ses fils ni ses filles. Elle crée des démons et des sortilèges, des mensonges qui deviennent vérités et des rumeurs qu’on transforme en événements historiques. Mais si vous êtes assez fou pour embrasser cette colline, sa dévorante folie et sa plus belle fille, je vous aimerai plus que mes fils.
    — Monsieur, je vous demande la main de votre fille Gentille et l’hospitalité de cette colline, car c’est ici que je veux vivre.
    Jean-Damascène se mit à genoux, gratta le sol de ses longs doigts et déposa dans les mains de Valcourt quelques cailloux, un peu de terre rouge et grasse, des brins d’herbe et une branche tombée du ficus.
    — Je vous donne ma fille et la colline de Kawa.
    Après que son père fut rentré à la maison, Gentille vint rejoindre Valcourt. Du bout des lèvres, elle effleura son front, son nez, ne posa qu’un souffle sur sa bouche, puis d’un doigt léger suivit tous les chemins de son visage ridé. « Apprends-moi le désir », avait-elle dit, une nuit. Il avait répondu qu’il ne savait pas comment, mais qu’à deux ils en trouveraient bien le secret. Elle ne savait du plaisir que la furieuse bousculade du sexe et des mains qui prennent. De son propre corps qu’elle découvrait sous les caresses de Valcourt, de son propre corps qu’elle trouvait aussi beau maintenant que le plaisir qu’il lui procurait, elle partit à la découverte du corps de l’homme. Patiemment, elle explora le territoire, avec la respiration de l’homme et la contraction de ses muscles pour seuls guides. Elle résistait à l’urgence d’être elle-même caressée, à l’envie trop pressante d’être prise. Elle avait appris à calmer l’homme qui s’apprêtait à mourir d’extase pour qu’il devienne, et elle en même temps, un amas de chair si sensible que chaque caresse nouvelle devenait une torture insoutenable dont seul un suicide commun pouvait les libérer. Et chaque fois qu’ils mouraient ensemble, comme ce soir sur la tombe de Kawa, ils se disaient, sans le dire à l’autre, que c’était leur dernière mort.
     
    Ni le premier coq, ni le premier chien, ni le soleil, ni Jean-Damascène, qui laissa une grande cafetière, un peu de pain, des œufs durs et des tomates à côté de leurs corps nus, ne les éveillèrent. En ouvrant les yeux, Gentille vit son père qui les observait de loin, assis devant la maison. Elle se couvrit pudiquement, mais fut surprise de ne ressentir ni honte ni gêne. Elle fit un geste joyeux de la main dans sa direction, l’invitant à s’approcher. Il esquissa un sourire et fit non de la tête. Il aurait voulu marcher vers eux avec Jeanne, sa femme, mais il l’avait renvoyée chez ses parents quand il avait appris qu’il avait le sida. « Tu as

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