Un espion à la chancellerie
écossaises qui seraient à nouveau foulées par ses destriers, annonçant qu’Édouard d’Angleterre, le Fléau des Écossais, était de retour.
L’armée anglaise, meurtrière forêt de soldats en marche, était quelque chose de splendide et de terrible à la fois, mais comme Balliol l’avait appris dans ses cauchemars répétés et constants, ce qu’il redoutait par-dessus tout, c’était la haute silhouette d’Édouard, revêtu de son armure noire, montant un destrier noir caparaçonné d’or, sa chevelure blanchie par l’âge flottant au vent, son corps vieilli, mais infatigable, soutenu par une cuirasse d’acier. Le vin signifiait-il, se demandait Balliol, que lorsque Édouard apprendrait sa trahison, il envahirait à nouveau l’Écosse et dévasterait, avec ses troupes si nombreuses, le royaume de la Tweed jusqu’aux collines et montagnes du Nord ? Balliol soupira et se renfonça dans sa chaise à haut dossier. Il éprouva soudain une vive douleur tandis que son estomac fragile grondait et se soulevait, et il ressentit à nouveau un profond découragement devant ses faiblesses qui détérioraient tellement sa santé que même dans la salle du Conseil il ne pouvait contrôler ses fonctions corporelles.
Balliol avait voulu être roi, mais, une fois la couronne obtenue, il s’était rendu compte du poids effrayant de ses responsabilités. L’Écosse était un vaste agglomérat de factions qui s’entre- déchiraient ; les barons des Lowlands méprisaient les chefs des clans du Nord ; le seigneur des Iles, maître des navires effilés et bas sur l’eau, était toujours prêt à attaquer les autres. Comment sauvegarder la paix ? Des années auparavant, le vrai roi d’Écosse, Alexandre III, avait trouvé la mort en faisant une chute de cheval dans des circonstances mystérieuses et n’avait laissé aucun héritier {12} .
Les seigneurs écossais s’étaient disputé la succession et Édouard d’Angleterre, tel un gros chat noir, les avait regardés se défier les uns les autres avant d’intervenir et de déclarer solennellement que Balliol était celui dont les prétentions au trône étaient les plus fondées. Balliol reconnu roi, Édouard avait imposé des conditions et des mesures si contraignantes que le roi d’Écosse n’avait plus guère été que le vassal du roi d’Angleterre. Balliol, bien sûr, avait soulevé force protestations et Édouard était revenu plus d’une fois en Écosse pour lui rappeler ses obligations. Balliol savait qu’il n’était pas de force à lui résister malgré ce qu’avançaient ses propres barons, et il se tortilla de honte en se souvenant des humiliations qui lui avaient été infligées, telle la fois où de simples marchands anglais l’avaient obligé à comparaître devant une cour de justice anglaise pour répondre de ses actions comme un vulgaire valet !
Naturellement, les grands seigneurs écossais, avec à leur tête les Bruce et les Comyn, avaient observé tout cela avec une ironie amusée ; ils ricanaient sous cape et le tournaient en dérision en l’appelant la marionnette ou le pantin d’Édouard. Et pourtant Balliol n’avait pas eu le choix : il avait dû se soumettre humblement, la rage au coeur.
Mais la situation avait changé du tout au tout ; le salut était venu d’où on ne l’attendait pas. Philippe de France avait envahi la Guyenne, rappelant durement à Édouard qu’il était autant le vassal du roi de France que Balliol était le sien. Mais ce n’était pas tout. Philippe avait tissé des alliances avec la Flandre et Éric de Norvège et il voulait que l’Écosse fît partie du Grand Dessein qu’il fomentait contre Édouard. Balliol avait d’abord refusé, redoutant dans son indécision ce que pouvait faire ou dire Édouard, mais Philippe lui avait alors affirmé que l’Angleterre allait connaître des difficultés dans les Galles du Sud autant qu’en Guyenne, que le pire était à venir, car le roi de France avait un espion au sein du Conseil, un homme proche d’Édouard qui communiquait aux Français – contre argent comptant – tout ce que le roi d’Angleterre pensait, décidait et organisait. Le roi de France était certain que ce traître était la clef qui lui ouvrirait les secrets de la puissance d’Édouard et lui permettrait ainsi de la détruire, tout comme Philippe Auguste, près de cent ans auparavant, avait trouvé les clefs pour briser l’ambition du grand-père d’Édouard, Jean sans
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