Un espion à la chancellerie
de la jeune femme. Leur chambre était constamment sous bonne garde, quatre ou cinq coupe-jarrets aux ordres d’Owen arpentaient le couloir exigu ; les seules fois où ils eurent le droit de sortir, ce fut pour aller aux latrines, situées dans un recoin près de la chambre.
Corbett s’évertuait à découvrir les raisons de cette détention et passait son temps à poser à voix haute des questions rhétoriques sans destinataire particulier, Ranulf faisant de son mieux pour y répondre. Mais à la fin, le jeune homme excédé déclara avec colère que Corbett pouvait très facilement connaître le motif de cet emprisonnement passager.
— Que veux-tu dire ? demanda sèchement son maître.
— Eh bien, le vieux Gareth ! Il se faufile partout et observe tout.
— Mais il n’a plus sa tête !
— Oh que si ! rétorqua Ranulf avec un petit sourire. Il fait seulement semblant ; offrez-lui quelques pièces et il retrouvera sa langue et toute sa tête.
Corbett se tourna sur le flanc en grommelant ; une idée commençait à germer dans son esprit.
En fin de matinée, le lundi suivant, Owen renvoya les gardes et annonça, un rictus aux lèvres, que Corbett et Ranulf étaient libres d’aller et de venir à leur guise, et même de retourner à Londres. Le même soir, Lord Morgan réitéra l’invitation, insinuant ouvertement que les Anglais avaient abusé de son hospitalité et devraient s’en aller sans tarder. Corbett jeta un coup d’oeil anxieux à Maeve qui se mordilla la lèvre, mais opina presque imperceptiblement. Corbett comprit ce qu’elle avait voulu dire, mais le lendemain elle sembla l’éviter, et en même temps Morgan et Owen s’arrangeaient impudemment pour les empêcher de se rencontrer et de se parler.
Corbett perçut également un changement d’attitude chez les occupants du château : les hommes de Lord Morgan se firent plus distants, les serviteurs et les visiteurs occasionnels montrèrent plus ouvertement leur dédain. L’air était chargé d’une sourde menace, d’un péril sournois qui rôdait dans les sombres arcanes de la forteresse. En dépit de ses études à Oxford et de son habitude des finesses judiciaires de la Chancellerie et de l’Échiquier, Corbett se fiait à son instinct, et cet instinct, à présent, lui disait qu’il était en danger et qu’il devait soit fuir soit combattre. Cependant, se rappelant le conseil de Ranulf, il se mit à la recherche de Gareth qu’il trouva accroupi dans un coin du chemin de ronde sur le mur d’enceinte.
— Ça va, Gareth ?
L’homme sourit, un filet de salive à la bouche. Corbett jeta un rapide coup d’oeil à droite et à gauche et sortit une pièce d’argent de sa bourse.
— C’est pour toi, Gareth, si tu me parles des navires qui viennent de prendre le large, dit-il en l’observant attentivement.
Il perçut alors, sans contestation possible, une lueur de compréhension et d’intelligence dans les yeux larmoyants.
— Quels navires ? Qu’est-ce que Messire l’Anglais veut savoir sur les navires ?
— Donc, tu sais que des navires sont venus ?
Corbett se baissa et prit une autre pièce. Gareth scruta les alentours d’un regard aussi insaisissable qu’une bulle sur l’eau.
— Trois navires, murmura-t-il en tendant la paume.
— Ah ! s’exclama Corbett éloignant sa pièce. Quels navires ?
— Des Français, répondit Gareth. Je me suis dit que c’était des Français à cause de leur grand étendard bleu et or. Oh ! c’était beau à voir, Messire l’espion !
Corbett, stupéfait, dévisagea Gareth en souriant. Ranulf avait raison : cet homme faisait semblant d’avoir perdu l’esprit. Gareth confirma ses soupçons : les Français venaient souvent à Neath, il était facile à leurs bâtiments de se glisser dans les anses désertes le long de la côte désolée des Galles du Sud. Cela expliquait l’attitude mystérieuse de Morgan, les fanaux et les vins, bien qu’il y eût gros à parier que les Français apportaient des armes et de l’équipement en même temps que des barriques de bordeaux rouge. Le roi Philippe avait la ferme intention de faire éclater une rébellion au pays de Galles, et Morgan était son principal allié. Mais quel rapport y avait-il avec l’espion au sein du Conseil d’Édouard ?
Corbett vida sa bourse et montra une poignée de pièces à Gareth :
— Elles sont à toi si tu peux me dire pourquoi Talbot est mort.
Gareth essuya ses lèvres
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