Un espion à la chancellerie
presque sur un ton de défi sarcastique. Le fait qu’elle soit française est-il un acte de haute trahison ?
— Non, répondit brutalement Corbett, mais c’est de la haute trahison que d’avoir des relations avec des Français.
Waterton s’agita et son mouvement de fureur fit crisser et s’entrechoquer les chaînes.
— Vous ne pouvez pas le prouver !
— Donc vous ne niez pas ?
— Mais si, je le nie ! protesta Waterton, furibond. Cessez de jouer au plus fin et de vouloir me faire dire ce que je n’ai pas dit. De quoi parlez- vous ?
— À Paris, expliqua Corbett, les Français ont cherché à entrer dans vos bonnes grâces en vous comblant de cadeaux et de faveurs.
Waterton eut un haussement d’épaules fatigué.
— J’ignorais et j’ignore toujours pourquoi j’ai été l’objet de tant de considérations...
— Ou pourquoi vous avez rencontré en secret de Craon et une jeune fille blonde, la nuit, dans une taverne parisienne ?
Même à la pauvre lueur de la torche, Corbett vit blêmir le visage émacié de Waterton.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez !
— Oh que si, par Dieu ! cria Corbett. Est-ce vous le traître ? Est-ce vous qui avez envoyé à la mort Aspale et les autres ? L’équipage entier d’un navire ? Et pour quelles raisons ? Pour calmer les démangeaisons de votre braguette ?
Waterton se jeta sur lui, en montrant les dents comme un chien, son visage habituellement sombre transformé en un masque de rage aveugle. Corbett le regarda tranquillement : l’homme, retenu par les chaînes, ne pouvait que griffer l’air, fou de colère.
— Dites-moi, reprit Corbett tandis que Waterton s’écroulait en sanglotant sur sa paillasse crasseuse, dites-moi la vérité ! Si vous êtes innocent, votre liberté n’est qu’une question d’heures. Mais pour l’instant, vous êtes dans un sale pétrin, aussi englué qu’une mouche dans une toile d’araignée.
Corbett s’interrompit.
— Pourquoi les Français recherchaient-ils votre amitié ? Qui était la jeune femme que vous avez rencontrée en compagnie de Craon ? Avez-vous correspondu avec Lord Morgan de Neath ?
Waterton prit une profonde inspiration :
— Mon père s’est rebellé contre la Couronne, commença-t-il lentement, mais pas moi ! Ma mère était française, mais pas moi ! Ma richesse est mienne ! Je suis loyal sujet d’Édouard d’Angleterre. J’ignore pourquoi de Craon m’a accablé de ses faveurs. J’étais seulement chargé de lui envoyer les lettres du roi. Quant à Morgan, ce traître, je n’aurais, pas plus que vous, eu l’idée de correspondre secrètement avec lui.
— Et la jeune femme de Paris ?
— Cela, Corbett, c’est ma vie privée, mon seul secret ! Pour l'amour de Dieu ! hurla-t-il. Si chaque homme qui rencontre une femme clandestinement est accusé de trahison, alors nous sommes tous bons pour la corde.
— Dites-moi son nom.
— Jamais.
Corbett haussa les épaules et frappa à la porte du cachot.
— Corbett !
Hugh se retourna et eut un geste de recul devant l’éclair de haine qu’il lut dans les yeux de Waterton.
— Écoutez, Corbett, s’exclama-t-il d’une voix âpre, si je vous le révélais, vous ne me croiriez pas ! Vous êtes un solitaire, Corbett, un homme intègre à l’intelligence brillante, mais à l’âme morte. Il se peut que vous ayez aimé autrefois, maintenant vous avez tout oublié, jusqu’à la façon d’aimer. Alors pourquoi vous le dirais-je ? Je vous déteste, vous et votre coeur vide et froid qui sera, j’en suis sûr, la proie de Satan et de tous les démons de l’enfer !
Corbett fit volte-face et tambourina sur la porte. II voulait partir, il était venu pour obliger Waterton à être confronté à la vérité, mais c’est lui qui devait l’affronter à présent et cela lui faisait horreur.
CHAPITRE XVI
Six jours plus tard, Corbett et les envoyés français débarquaient à Boulogne-sur-Mer après une traversée calme et sans incidents. Corbett était, bien sûr, accompagné de Ranulf, furieux, qui ne décolérait pas d’avoir été arraché aux plaisirs des bas-fonds londoniens, mais aussi d’un certain William Hervey, petit homme insignifiant, scribe de son métier et timoré de nature, qui, habitué à travailler à la cour des Plaids communs, était fort intimidé par les seigneurs qu’il côtoyait. Les Français ne cherchaient pas à lier connaissance. Certes, de Craon et Corbett
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