Un espion à la chancellerie
courant de tous les incidents et événements de son royaume.
Les journées n’en finissaient pas. Corbett passait le plus clair de son temps à écouter les choeurs de la chapelle royale ou à parcourir avidement les livres et manuscrits rares de la bibliothèque du palais. Le roi Philippe se piquait de culture et Corbett était ravi de voir que l’or du souverain français avait servi à acquérir des ouvrages d’Aristote auprès d’écrivains arabes d’Espagne et d’Afrique du Nord. Son plaisir, pourtant, était quelque peu terni par la nécessité d’avoir constamment Ranulf à l’oeil : les incessantes allées et venues de ce dernier dans le palais pouvaient, en effet, compromettre leur sécurité. Corbett savait qu’ils ne risqueraient rien tant qu’ils respecteraient le sévère protocole imposé aux envoyés ; mais s’ils passaient outre, les Français auraient beau jeu de les accuser d’avoir outrepassé leurs droits, et il leur faudrait alors accepter le châtiment décidé par le monarque.
Une semaine environ après leur arrivée, Ranulf revint un jour hors d’haleine dans leur soupente, et annonça qu’il venait de rencontrer d’autres Anglais dans le palais. D’abord Corbett le crut dérangé et prit ses paroles pour de simples divagations à mettre sur le compte de la boisson et de la solitude forcée, mais au fur et à mesure que Ranulf décrivait sa rencontre, Corbett sentait que son serviteur disait la vérité : il devait avoir vu certains des otages exigés par le roi Philippe après la perte de la Guyenne. Corbett décida de leur rendre visite et Ranulf se proposa joyeusement comme guide. Ils les trouvèrent dans un des petits jardins de simples, à l’arrière du palais : c’était un groupe assez pitoyable d’hommes âgés, de femmes et d’enfants.
Corbett se rappela les lettres qu’il avait apportées et fut satisfait d’apprendre que les otages les avaient bien reçues. Il bavarda un peu, leur donna des nouvelles de l’Angleterre et de la Cour, et, faisant de son mieux pour apaiser leurs craintes, les assura que leur exil prendrait bientôt fin. Il parla aux fils de Tuberville, deux solides gaillards de onze et treize ans qui ressemblaient à leur père comme deux gouttes d’eau. Leur vivacité de gamins et leurs questions incessantes sur leur père et leur foyer changeaient agréablement de la tristesse et de l’accablement des autres otages. Ils mentionnèrent les lettres qu’ils avaient eues, et l’aîné, Jocelyn, avoua franchement que, quelquefois, il ne comprenait pas ce que racontait leur père. Corbett éclata de rire en promettant de suggérer à Tuberville d’écrire de façon plus simple et plus claire.
Il était sur le point de partir lorsque, du coin de l’oeil, il aperçut l’éclair d’une chevelure blonde. Il se retourna pour mieux la regarder et, bouche bée, reconnut alors la jeune femme qu’il avait vue en compagnie de Waterton et de de Craon, dans une gargote parisienne, des semaines auparavant.
— Qui est cette dame ? demanda-t-il à l’un des Tuberville.
— Oh ! répondit dédaigneusement l’enfant, c’est Lady Aliénor, la fille du comte de Richemont. Elle se tient à l’écart et languit toute seule dans son coin. Elle ne parle quasiment à personne.
— Eh bien, marmonna Corbett comme pour lui-même, elle va me parler, à moi !
Il contourna une plate-bande légèrement surélevée, s’approcha d’elle et lui tapota l’épaule ; elle fit volte-face d’un mouvement si vif que ses cheveux flottèrent devant son visage, comme un voile. Mince et pâle, elle avait des yeux bleu clair et des traits réguliers qui faisaient d’elle une vraie beauté.
— Qu’est-ce, Monsieur ? s’étonna-t-elle.
— Madame, puis-je vous présenter mes hommages ? J’ai nom Hugh Corbett et suis clerc principal à la Chancellerie d’Édouard d’Angleterre. Je suis ici en mission officielle, chargé également de vous transmettre les compliments de votre père ainsi que ceux de votre admirateur secret, Ralph Waterton.
Mensonges, bien sûr, mais Corbett sut qu’il avait visé juste, car elle rougit et sa réponse s’acheva sur un bégaiement confus.
— Ralph Waterton, poursuivit Corbett, est bien votre admirateur secret, n’est-ce pas ?
— Oui, murmura-t-elle.
— Et votre père vous a envoyée comme otage en France pour vous mettre hors d’atteinte de Waterton ?
La jeune femme acquiesça d’un signe de
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