Un espion à la chancellerie
échangeaient des plaisanteries, mais dans l’ensemble, les relations – si on pouvait employer ce terme – étaient empreintes d’une défiance réciproque. En fait, c’était la première fois depuis son retour du pays de Galles que Corbett se sentait à l’abri du danger. Les Français, en effet, s’étaient portés garants de sa sécurité, jurant solennellement sur de Saintes Reliques et sur la Bible qu’ils le laisseraient regagner l’Angleterre sain et sauf.
Lancastre lui avait donné oralement une foule de consignes : ce qu’il devait dire, ne pas dire, ce qu’il pouvait offrir, ne pas offrir, quand partir, quand rester... Corbett n’avait pas l’intention de les suivre toutes, mais il comprenait que Lancastre lui avait surtout ordonné de rechercher la meilleure offre possible et de la saisir. Il était ouvertement admis à la cour d’Angleterre que le roi Philippe, aux prises avec la guerre en Flandre déclenchée par des agents anglais, ne pouvait guère envisager pareille situation en Guyenne si Édouard s’y rendait à la tête de son armée.
Il s’ensuivait donc que le souverain français accepterait probablement de restituer la Guyenne, mais à des conditions avantageuses pour lui. À ses moments perdus, Corbett avait étudié les traités et les documents rédigés par les éminents légistes du roi de France, en particulier un certain Pierre Dubois qui voyait en Philippe un nouveau Charlemagne. Dubois suggérait à Philippe d’accroître sa puissance par un jeu d’alliances fondé sur de judicieux mariages. Le roi de France semblait être de cet avis, car il avait marié ses trois fils aux membres de la haute noblesse française dans l’espoir d’annexer le duché indépendant de Bourgogne.
Pendant son voyage jusqu’à Douvres et durant la paisible traversée de la Manche, Corbett était parvenu à la conclusion que Philippe offrirait un traité de ce genre à Édouard. Le fils du roi d’Angleterre était âgé à présent de six ou sept ans et on chuchotait déjà que le roi Édouard recherchait un bon parti parmi les puissantes familles ducales de Flandre, une famille qui pourrait rejoindre le cercle de ses alliés contre Philippe.
Le souverain français pouvait contrer cette initiative. Son épouse, Jeanne de Navarre, avait récemment donné naissance à une jeune princesse nommée Isabelle {13} . Corbett se demanda si Philippe avait l’intention de rendre la Guyenne contre la promesse de marier l’héritier de la couronne anglaise à sa fille. Plus le clerc réfléchissait à la question, plus cela lui paraissait faisable ; il espérait seulement qu’il pourrait mener les négociations aussi habilement que possible et qu’il n’encourrait pas la colère de son maître à l’humeur trop changeante.
Corbett avait d’autres instructions : il devait rechercher le traître qui oeuvrait au sein du Conseil d’Édouard. Il passa en revue les renseignements qu’il avait recueillis et pensa que Lancastre et le roi les apprécieraient à leur juste valeur. Bien que Waterton fût coupable d’activités suspectes, il n’était pas le traître qu’ils traquaient. Corbett ressassait l’affaire dans son esprit en écoutant d’une oreille distraite Ranulf se plaindre des Français, de la chiche nourriture et de l’attitude hostile de leurs compagnons.
Il souffrait encore de l’absence de Maeve et des affres de l’amour, mais sa mission l’emplissait d’un certain enthousiasme contenu. Le traître – homme ou femme – devrait, un jour ou l’autre, pécher par excès de confiance. Lors de toutes ses enquêtes précédentes, Corbett avait constaté que c’était à cet instant-là que le coupable était débusqué et remis entre les mains de la Justice. Et il sentait que ce moment décisif approchait rapidement...
L’ambassade quitta Boulogne et entama le long voyage vers Paris qui s’avéra assez plaisant ; un superbe été et les ardeurs du soleil avaient transformé la campagne austère en paysages souriants : ormes, sycomores, chênes s’élevaient dans toute leur majesté estivale ; vergers et champs de blé étaient prêts pour les récoltes. La perspective de belles moissons et donc d’un hiver sans disette avait assoupli l’attitude généralement hostile des paysans et celle, réservée, des seigneurs dans leurs manoirs, et on leur offrait l’hospitalité à chaque halte. Bien sûr, Corbett s’efforça d’entrer en conversation avec les
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