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Un garçon de France

Un garçon de France

Titel: Un garçon de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pascal Sevran
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promis des photos et des échos publiés ici et là, dans la collection des magazines d’avant-guerre que Lucienne me permettait de regarder parfois, non sans s’émouvoir que je puisse préférer ces lectures affriolantes aux divers illustrés pour enfants, qu’elle tenait à ma disposition.
    J’étais le premier, ou presque, hormis trois personnes, deux hommes et une femme, assis autour d’une table ronde – des habitués – qui parlaient à voix basse.
    J’eus vaguement l’impression de déranger, mais je ne pouvais plus faire demi-tour. Après m’avoir jugé du regard, l’homme au fume-cigarette m’a souri de façon furtive pour ne pas être surpris, me sembla-t-il par ses amis. Je lui ai discrètement rendu la politesse, cela ne m’engageait pas beaucoup et je m’assurais du même coup un complice dans les lieux.
    Je me suis installé sur le tabouret du bar placé juste derrière le rideau rouge. En attendant que quelqu’un vienne à moi, j’ai regardé l’homme au fume-cigarette ponctuer, avec des gestes élégants de chef d’orchestre, une conversation que je n’entendais pas.
    On aurait dit qu’il jouait pour moi.
    Les rumeurs de la ville ne troublaient pas l’ambiance feutrée de « La Maison rose » où résonnait seulement un air de jazz au piano. On venait là pour se réfugier entre soi. Je devinais, en découvrant peu à peu l’agencement de la salle, d’étranges rendez-vous d’affaires où des hommes aux mains fines décident, entre deux Marie Brizard glacées, du sort de quelques chefs d’État africains trop encombrants. Je n’aurais d’ailleurs pas juré de l’innocence du très distingué personnage qui continuait de me suivre à la dérobée, mais j’étais bien, brusquement, au point d’oublier même qu’il me faudrait, tôt ou tard, justifier ma présence ici.
    Il ne se passait rien. Quelques clichés encadrés çà et là prouvaient un passé joyeux ; on pressentait des fêtes à venir, mais je me demandais quand et avec qui ?
    J’étais là depuis dix minutes et je craignais de voir entrer une bande de noceurs égarés qui eussent dérangé l’idée que je me faisais maintenant de « La Maison rose ». Le bar, sur lequel j’étais négligemment accoudé, était un meuble imposant d’acajou foncé, peu fait pour accueillir des clients de bistrot.
    Les fauteuils ronds recouverts de tissu mauve, les glaces décorées à l’or fin, les bougies noires torsadées, posées par deux sur chaque table basse, le plafond laqué bordeaux, rien n’avait été laissé au hasard.
    Je ne concevais même pas qu’on puisse jouer ici de l’accordéon. Cet instrument inspire plutôt des flonflons et ce n’était apparemment pas le genre de la maison.
    Et si je m’étais trompé d’adresse ? Je vérifiais sur le morceau de papier que M me  Donadieu avait glissé dans ma poche : 91, rue des Martyrs, téléphone : PIG.32-25. Avant minuit et demi, demandez José Gomez Riken.
    Il était minuit vingt et rien ne laissait prévoir qu’un accordéoniste allait surgir dans ce décor confortable pour donner une aubade devant des tables vides.
    J’en étais là de mes suppositions pessimistes, quand l’homme au fume-cigarette fit tinter son verre à l’aide d’un ustensile en bois qui sert à battre le champagne.
    — Mado, ma chérie, tu nous oublies ou quoi ?
    Il avait juste élevé la voix, mais le ton était tendre. Comme il n’eut pas de réponse immédiate, il se tourna vers une petite porte ovale, placée juste à côté du piano blanc. L’entrée des artistes probablement.
    — Mado, y’a un jeune homme qui t’attend au bar…
    Il parlait de moi. Je le remerciais donc d’un signe de tête, qu’il prit à tort pour un hommage. J’ignorais alors qu’il convient d’être plus prudent.
    Elle apparut enfin, assez blonde pour m’inspirer. Lentement, elle se dirigea vers la table où, maintenant, les trois clients riaient aux éclats, sans qu’on sache pourquoi.
    Mado les connaissait bien, puisqu’elle se mêla aussitôt de leur conversation et que le gros Libanais lui prit la taille sans se gêner.
    J’avais décidé qu’il était Libanais, parce qu’il portait une imposante bague en or à la main droite et des chaussures jaunes. À plusieurs reprises la jeune femme l’embrassa dans le cou, alors même qu’il pelotait Mado.
    Depuis mon tabouret de bar, je me disais que j’en verrais d’autres à Paris, et cette pensée me réjouissait

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