Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
avoir échangé un regard avec le
commandant de la colonne française – il a l’allure d’un jeune homme de bonne
éducation, raisonnable, pas comme les brutes ordinaires de l’armée impériale –,
il décide d’insister encore. Des deux capitaines rebelles, Daoiz semble le plus
sensé. C’est donc à lui qu’il s’adresse.
    — Et vous, vous n’avez rien à
dire ?… Soyez raisonnable, pour l’amour de Dieu.
    L’artilleur paraît réfléchir.
    — On est allés trop loin des
deux côtés, dit-il enfin. Il faudrait connaître les conditions d’un
cessez-le-feu. – Il regarde le commandant français. – Demandez-le-lui.
    Tous se tournent vers le commandant
de la colonne impériale qui, penché vers l’interprète, écoute avec attention.
Puis il hoche la tête négativement et répond dans sa langue. Le capitaine
Álvarez ne parle pas français, mais, avant même que l’interprète ait traduit,
il sent que le ton tranchant du commandant est sans équivoque. Après tout, se
dit-il, il a ses raisons. Les gens du parc lui ont tué trop d’hommes.
    — Monsieur le commandant
regrette de ne pouvoir offrir de conditions, traduit l’interprète. Vous devez
rendre les prisonniers français sains et saufs et déposer les armes. Il vous
demande de penser avant tout aux gens du peuple, car il y a déjà beaucoup de
morts dans Madrid. Il ne peut accepter de vous que la reddition immédiate.
    — Nous rendre ?… Et quoi
encore ? s’exclame Velarde.
    Luis Daoiz lève une main. Le
capitaine Álvarez observe que le commandant français et lui se regardent dans
les yeux, en gens du même métier. Il reste peut-être un peu d’espoir.
    — Voyons, dit calmement Daoiz.
Il n’y a vraiment aucun arrangement possible ?
    Après traduction de l’interprète, le
Français dit de nouveau non. Et quand l’artilleur regarde Álvarez, celui-ci
hausse les épaules.
    — Ils ne nous laissent donc
aucune issue, commente Daoiz, un étrange sourire au coin des lèvres.
    Le capitaine des Volontaires de
l’État exhibe de nouveau l’ordre signé par le ministre O’Farril.
    — C’est conforme aux instructions.
Soyez sensés.
    — Ce papier n’est même pas bon
pour se torcher le cul, affirme Velarde.
    Ignorant ce dernier, le capitaine
Álvarez observe Luis Daoiz. Celui-ci contemple le document mais ne le prend
pas.
    — En tout cas, demande Álvarez,
définitivement découragé, permettez que j’emmène les miens.
    Daoiz le regarde comme s’il avait
parlé chinois.
    — Les vôtres ?
    — Je parle du capitaine
Goicoechea et des Volontaires de l’État… Ils ne sont pas venus pour se battre.
Le colonel a beaucoup insisté sur ce point.
    — Non.
    — Pardon ?
    — Vous ne les emmènerez pas.
    Le ton de Daoiz est sec et distant,
le regard absent, comme si, soudain, cette situation lui était indifférente et
qu’il était loin de tout cela. Ils ont perdu la raison, décide Álvarez,
consterné de faire cette constatation. Voilà la vérité, et personne ne l’avait
prévue : Velarde avec son exaltation lunatique et cet autre avec sa
froideur inhumaine sont fous à lier. Un moment, se laissant porter par
l’automatisme de son grade et de son métier, Álvarez envisage la possibilité de
s’adresser directement aux soldats qui relèvent de son régiment et de leur
ordonner de le suivre loin d’ici. Cela affaiblirait la position de ces
visionnaires et les inclinerait peut-être à accepter la reddition sans
conditions. Mais, comme s’il avait compris sa pensée, Daoiz se penche un peu
vers lui, sans se départir de sa courtoisie, avec toujours le même étrange
sourire.
    — Si vous tentez de faire
déserter ces hommes, lui dit-il à voix basse sur le ton de la confidence, je
vous conduis à l’intérieur et je vous tire une balle.
    Francisco Huertas de Vallejo assiste
aux pourparlers entre officiers français et espagnols parmi les civils
rassemblés autour des canons. Le jeune volontaire se trouve là avec don Curro
et l’ouvrier typographe Gómez Pastrana, appuyé sur le canon de son fusil,
debout, mains croisées sur son embouchure. Il n’entend pas tout ce qui se dit,
mais l’attitude des chefs lui semble claire, que ce soit celle du capitaine
Velarde qui crie plus fort que tous, ou celle des autres. Dans son esprit, le
jeune volontaire à bon espoir qu’ils arrivent à un accord honorable. Une heure
et demie de combats est suffisante pour modifier certains points de vue. Il
n’avait

Weitere Kostenlose Bücher