Un Jour De Colère
et
lance des vivats pour l’Espagne, le roi Ferdinand et la Sainte Vierge ;
les fenêtres, les murs et la grille du couvent fourmillent de civils et de
militaires qui applaudissent et se félicitent de l’événement. Alors, Francisco
Huertas qui, avec don Curro, le typographe Gómez Pastrana et les autres, crie
son enthousiasme en brandissant à la pointe de son fusil le shako ensanglanté
d’un Français se rend enfin compte de l’énormité de la chose. En un instant,
les défenseurs de Monteleón, en plus de capturer le commandant et plusieurs
officiers de la colonne ennemie, ont fait une centaine de prisonniers. C’est
pourquoi il est tellement surpris de voir que le capitaine Daoiz, au lieu de
participer à la joie générale, reste immobile et songeur au milieu du tumulte,
le visage fermé et absent, pâle comme si la foudre venait de tomber à ses
pieds.
7
À partir d’une heure de l’après-midi,
un silence lugubre s’étend sur le centre de Madrid. Autour de la Puerta del Sol
et de la Plaza Mayor, on n’entend plus que les tirs isolés des patrouilles ou
le martèlement des bottes des détachements français qui marchent en pointant
leurs fusils dans toutes les directions. L’armée impériale contrôle désormais
sans rencontrer de résistance les grandes artères et les places principales, et
les seuls affrontements consistent en escarmouches individuelles que livrent
ceux qui tentent de s’échapper, cherchent un refuge ou frappent à des portes
qui ne s’ouvrent pas. Terrifiés, retranchés derrière leurs volets, jalousies et
rideaux, ou les plus audacieux tapis sous les porches ou aux fenêtres, des
habitants voient les patrouilles françaises sillonner les rues avec des files
de prisonniers. L’une d’elles est composée de trois hommes, mains liées, qui
marchent dans la rue Los Milaneses sous la garde de fusiliers qui les rouent de
coups. Un orfèvre de cette rue, Manuel Arnáez, qui, malgré les supplications de
sa femme, se tient à la porte de son atelier, reconnaît parmi eux son collègue
Julián Tejedor de la Torre, qui tient boutique dans la rue Atocha.
— Julián !… Où te
mènent-ils, Julián ?
Les gardes français crient à
l’orfèvre de rentrer, et l’un d’eux le menace même avec son fusil. Arnáez voit
Julián Tejedor se retourner pour lui montrer ses mains attachées et lever les
yeux vers le ciel d’un air résigné. Il saura plus tard que Tejedor, après être
sorti de chez lui pour se battre en compagnie de ses employés et de ses
apprentis, a été capturé sur la Plaza Mayor en même temps qu’un des hommes qui
l’avaient suivi : son ami, le bourrelier de la place Matute, Lorenzo
Domínguez.
Le troisième prisonnier du groupe se
nomme Manuel Antolín Ferrer, aide-jardinier de la résidence royale de La Florida,
d’où il est venu la veille pour se mêler aux événements qui se préparaient.
C’est un homme bâti en colosse, les mains puissantes, comme il l’a montré en se
battant aux Conseils, à la Puerta del Sol et la Plaza Mayor, où il a été
contusionné et pris par les Français dans l’ultime débandade. Obstiné,
taciturne, sombre, il marche avec ses compagnons d’infortune, tête basse, l’œil
droit blessé par un coup de crosse, sans illusions sur le sort qui l’attend.
Réconforté par la satisfaction d’avoir expédié, de ses propres mains et avec sa
navaja, deux soldats français.
La scène de la rue Los Milaneses se
répète en d’autres lieux de la ville. Au Buen Retiro et dans les caves de la
Calle Mayor, les Français continuent d’enfermer des gens. Dans ces dernières,
sous les marches de San Felipe, ils sont déjà seize prisonniers, quand les
Français poussent à coups de crosses le Napolitain de vingt-deux ans Bartolomé
Pechirelli y Falconi, valet de l’hôtel particulier que possède le marquis de
Cerralbo dans la rue Cedaceros. Il en est sorti ce matin avec d’autres
domestiques pour combattre, et il vient d’être fait prisonnier au moment où il
s’enfuyait après la débâcle de la dernière résistance sur la Plaza Mayor.
Près de là, place Santo Domingo, un
autre détachement impérial conduit Antonio Macías de Gamazo, soixante-six ans,
habitant rue Toledo, le palefrenier du Palais Juan Antonio Alises, Francisco
Escobar Molina, charron, et le péon de corridas Gabriel López, capturés dans
les derniers affrontements. Depuis la porte des Écuries royales, l’écuyer
Lorenzo González
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