Un Jour De Colère
de tout !
— Et vos soldats ?
réplique le colonel Navarro Falcón. Ils y sont bien aussi pour quelque
chose !
— Ils sont sous votre
commandement, que diantre !… C’est de votre responsabilité, non de la
mienne.
Cela fait un quart d’heure qu’ils
s’adressent mutuellement des reproches. José Navarro Falcón, qui dirige
l’état-major de l’Artillerie et est le supérieur direct des capitaines Daoiz et
Velarde, s’est présenté à la caserne de Mejorada, apeuré par les nouvelles qui
arrivent de Monteleón. Giraldes n’est pas moins inquiet, après avoir appris que
les hommes qu’il a fournis à Velarde et au capitaine Goicoechea sont mêlés au
combat. De plus, les pertes subies par les troupes françaises sont terribles.
Face à de tels événements, les deux chefs tremblent à l’idée des conséquences.
— Comment avez-vous pu confier
des hommes à Pedro Velarde, dans l’état où se trouvait cet officier ?
s’indigne Navarro Falcón.
— Je n’avais pas le choix,
réplique Giraldes. Ce fou de capitaine prétendait soulever la troupe.
— Il fallait l’arrêter !
— Et pourquoi ne l’avez-vous
pas fait vous-même, puisque vous êtes son supérieur immédiat ?… Ne me
cassez pas les pieds, mon vieux ! Mes autres officiers aussi étaient en
ébullition, ils voulaient se précipiter dans la rue. Pour m’en débarrasser, je
n’ai pas trouvé d’autre moyen que d’envoyer Goicoechea avec trente-trois
soldats… Et je le leur ai dit clairement : pas question de fraterniser avec
le peuple, pas question de s’opposer aux Français… Vous voyez. Un vrai malheur.
Je vous l’assure, sur mon honneur, un terrible malheur.
— À qui le dites-vous !
Pour tout le monde.
— Mais attention, hein ?…
Celui qui a laissé partir Velarde de l’état-major et a envoyé ensuite le
capitaine Daoiz à Monteleón, c’est vous. Nous sommes bien d’accord ?…
C’est votre parc d’artillerie, Navarro, et ce sont vos hommes. J’insiste :
pour moi, je n’ai pas eu d’autre solution que d’obéir.
— Et comment savez-vous que ça
s’est passé ainsi ?
— Eh bien… je le suppose.
— Vous le supposez ?…
C’est ce que vous avez l’intention de dire au capitaine général, pour votre
décharge ?
Giraldes lève un doigt.
— C’est ce que j’ai déjà dit,
si vous me permettez. J’ai envoyé un rapport à Negrete pour l’assurer que
j’étais étranger à cette monstruosité… Et vous savez ce qu’il me répond ?…
Qu’il s’en lave les mains… Voilà tout ! – Giraldes prend un pli manuscrit
sur sa table et le montre au colonel d’artillerie. – Pour que tout soit clair,
il m’a fait remettre avec accusé de réception une copie de la lettre que Murat
a envoyée ce matin à la Junte. Lisez, lisez… Elle est arrivée tout à l’heure.
Il est impératif que le calme
soit immédiatement rétabli, sinon les habitants de Madrid devront s’attendre à
ce que retombent sur eux toutes les conséquences de leur entêtement…
— Qu’en pensez-vous ?
poursuit Giraldes en reprenant le papier. C’est clair comme de l’eau de roche.
Et voilà que, quand j’envoie un de mes aides de camp à Monteleón pour qu’il
ramène ces cannibales à l’obéissance, initiative qu’il vous revenait de
prendre, ils ne trouvent rien de mieux que de tirer au canon en plein milieu
des pourparlers et de faire une boucherie… Aussi, je me fiche bien de ce qui
arrivera au parc. Ce qui me préoccupe maintenant, ce sont les conséquences.
— Vous parlez pour vous et pour
moi ?
— D’une certaine manière, oui.
Pour nous, en tant que responsables… Je mets tout le monde dans le même sac,
naturellement. Vous avez vu comment Murat traite la Junte. On est dans de sales
draps, Navarro. De sales draps, je vous le dis.
Exaspéré, en colère et sans savoir
que faire, le colonel Navarro Falcón prend congé de Giraldes. Une fois dehors,
il décide d’aller jeter un coup d’œil au parc de Monteleón et remonte la rue
San Bernardo, jusqu’au coin de la rue de la Palma, où un détachement lui barre
abruptement le chemin, sans aucune déférence pour son uniforme et ses
épaulettes.
— Arrêtez-vous !
Dans son mauvais français, appris
durant la campagne des Pyrénées, le chef de l’état-major de l’Artillerie de
Madrid demande à parler à un officier ; mais tout ce qu’il peut obtenir,
c’est qu’un sous-lieutenant moustachu et
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