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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’enfant chéri des
muses, reçoive aujourd’hui une bonne correction.
    Lorsque Blas Molina Soriano,
serrurier de son métier, arrive sur l’esplanade du Palais, il ne reste qu’une
berline sur les trois qui attendaient devant la porte du Prince. Les autres
s’éloignent dans la rue Tesoro. À côté de celle qui demeure immobile et vide,
il n’y a presque personne, à part le cocher et le postillon : trois
femmes, portant un fichu sur les épaules et un cabas pour les commissions, et
cinq voisins. Sur la grande place, quelques curieux observent la scène de loin.
Pour savoir qui sont les voyageurs des berlines, Molina serre les plis de sa
cape de serge grossière et court derrière celles-ci, mais il ne parvient pas à
les rejoindre.
    — Qui était dans ces
voitures ? demande-t-il, une fois revenu.
    — La reine d’Étrurie, répond
une des femmes, grande et avenante.
    Encore essoufflé, le serrurier en
reste bouche bée.
    — Vous en êtes sûre ?
    — Oh, que oui ! Je l’ai vue
sortir avec ses enfants, accompagnée d’un ministre, ou d’un général… Quelqu’un
qui portait un chapeau avec beaucoup de plumes et lui donnait le bras. Elle est
montée aussitôt et a filé en un clin d’œil… Pas vrai, madame ?
    Une autre femme confirme :
    — Elle se cachait derrière une
mantille. Mais je veux bien être damnée si ce n’était pas María Luisa.
    — Est-ce que quelqu’un d’autre
est sorti ?
    — Pas que je sache. On dit que
l’infant don Francisco de Paula, le petit garçon, part aussi. Mais nous n’avons
vu que la sœur.
    Sombre, plein de funestes
pressentiments, Molina interpelle le cocher :
    — C’est pour qui, cette
voiture ?
    L’autre, assis sur son siège, hausse
les épaules sans répondre. Soupçonneux, Molina inspecte les alentours. Sauf les
sentinelles – ce sont aujourd’hui des Gardes espagnoles à la porte du Prince et
des Gardes wallonnes à celle du Trésor –, il ne voit aucun piquet. C’est
inimaginable, se dit-il, que l’on puisse organiser un déplacement de cette
importance sans prendre de précautions. À moins, peut-être, que ce ne soit dans
l’idée de ne pas attirer l’attention.
    — Est-ce qu’il est venu des gabachos ? demande-t-il à l’un des curieux.
    — Je n’ai vu personne. Rien
qu’une sentinelle, là-bas, à San Nicolás.
    Songeur, Molina se gratte le menton
qu’il n’a pas eu le temps de raser ce matin. San Nicolás, à côté de l’église du
même nom, est le casernement de Français le plus proche, et il est rare que
ceux-ci soient aussi tranquilles. Ou semblent l’être. Il passe par la Puerta
del Sol et, là non plus, il ne voit pas trace de Français, bien que l’endroit
fourmille de gens fort échauffés. Personne, pourtant, devant le Palais. Les
berlines qui sont parties et cette autre, vide, qui attend n’augurent rien de
bon. Il entend comme un clairon sonner l’alarme dans sa tête.
    — Ils sont en train,
conclut-il, de nous posséder jusqu’au trognon.
    Ces mots font se retourner José Mor
de Fuentes. L’écrivain aragonais se trouve là après avoir marché depuis la
place du Palais. On ne l’a pas laissé voir son ami le capitaine Jáuregui. Blas
Molina le connaît de vue, car, voilà quinze jours, il a réparé la serrure de sa
maison.
    — Et pendant ce temps, nous
sommes quatre chats et sans armes, commente Molina exaspéré.
    — Pardi ! Mais l’Arsenal
royal est là, répond ironiquement Mor de Fuentes, en désignant le bâtiment.
    Le serrurier se caresse pensivement
le cou. Il a pris la boutade au pied de la lettre.
    — Inutile de me le dire deux
fois. Suffit que les gens se décident, et moi je force la serrure. C’est mon
métier.
    L’autre l’observe attentivement pour
vérifier s’il parle sérieusement. Puis il regarde autour de lui d’un air gêné,
hoche la tête et s’en va, parapluie sous le bras, tandis que le serrurier reste
sur place en continuant à penser à l’Arsenal royal. Mieux vaut l’oublier pour
le moment, conclut-il. De toute manière, Blas Molina Soriano, présentement dans
sa quarante-neuvième année, est le plus fervent partisan que le roi d’Espagne
puisse avoir à Madrid. Les raisons du culte exalté qu’il professe pour la
monarchie sont embrouillées, et lui-même s’y perd. Plus tard, en adressant au
roi un mémoire détaillé sur sa participation aux événements du 2 mai, il se
définira comme « nourrissant une passion aveugle pour Votre

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