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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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toute l’Espagne et pour le monde.
    Las de la discussion, Navarro Falcón
retourne à sa table.
    — Je ne veux pas entendre un
mot de plus !… Est-ce clair ?
    Le colonel s’assied et fait mine de
se plonger dans ses papiers. Feignant de croire que Velarde ne l’entend pas, il
murmure, l’air égaré : « Se battre… Se battre… Mourir pour
l’Espagne », et, tout en griffonnant à son tour des dessins sans
signification, il forme des vœux pour que là-bas, à Monteleón, Daoiz garde la
tête froide, et que lui-même, ici, soit capable de conserver Velarde rivé à sa
table. Laisser aujourd’hui cet exalté s’approcher du parc de Monteleón, ce
serait comme attacher un cordon allumé à un tonneau de poudre.
    Malgré ses excès et son patriotisme
passionné, le serrurier Molina n’est pas idiot. Il sait que s’il conduit sa
troupe vers le parc par des rues trop larges, il attirera l’attention et que,
tôt ou tard, les Français lui barreront le passage. Il recommande donc le
silence à la vingtaine de volontaires qui le suivent – dont de nouveaux venus viennent
grossir les rangs en cours de route – et, après s’être séparé de ceux qui
cherchent le chemin le plus court, il les dirige vers le cours San Pablo en
passant par le guichet de San Martín et les rues Hita et Tudescos.
    — Sans tapage, hein ?… Ça,
ce sera pour plus tard. L’important, c’est de nous procurer des fusils.
    À la même heure, d’autres groupes,
ceux qui ont été alertés par Molina ou des gens qui marchent sur Monteleón de
leur propre initiative, montent par Los Caños et la place Santo Domingo vers la
large rue San Bernardo, et de la Puerta del Sol par le carreau de San Luis vers
la rue Fuencarral. Certains parviendront au but dans l’heure qui vient ;
mais d’autres, confirmant les craintes de Molina, seront anéantis ou dispersés
en se heurtant à des détachements français. Tel est le cas de la troupe formée
par le chocolatier José Lueco qui, avec les garçons d’écurie Juan Velázquez,
Silvestre Álvarez et Toribio Rodríguez, décide de marcher pour son compte en
coupant par San Bernardo. Mais dans la rue de la Bola, alors qu’ils sont
maintenant une trentaine grâce au renfort des valets d’une hôtellerie et d’une
auberge voisines, d’un doreur, de deux apprentis charpentiers, d’un ouvrier
typographe et de plusieurs domestiques de maisons particulières, la troupe, qui
dispose de quelques carabines, escopettes et fusils de chasse, tombe sur un
peloton de fusiliers de la Garde impériale. Le choc est brutal, à bout portant,
et, après les premiers coups de navajas et de fusils, les Madrilènes se
retranchent au coin de la place Santo Domingo et de la rue Puebla. Pendant un
bon moment, n’écoutant que leur courage, ils livrent là un combat acharné qui
cause des pertes aux Français, avec l’aide des gens du voisinage qui
participent à la bataille en lançant des pots de fleurs et toutes sortes de
projectiles depuis les balcons. Finalement, se voyant sur le point d’être
encerclée par des renforts qui arrivent des rues adjacentes, leur troupe se
disperse en laissant plusieurs morts sur le pavé. José Lueco, blessé d’un coup
de sabre au visage et d’une balle à l’épaule, parvient à se réfugier dans une
maison proche – à la troisième tentative, car les deux premières portes
auxquelles il frappe ne s’ouvrent pas – où il restera caché jusqu’à la fin de
la journée.
    Comme celui du chocolatier Lueco,
d’autres groupes sont presque tout de suite défaits, ou durent juste le temps
que les troupes françaises mettent à les trouver et à les disperser. C’est ce
qui arrive au petit groupe armé de gourdins et de couteaux que les Français obligent
à se débander à coups de canon au coin des rues du Pozo et San Bernardo,
blessant José Ugarte, chirurgien de la Maison royale, et María Oñate Fernández,
âgée de quarante-trois ans et originaire de Santander. Même chose dans la rue
Sacramento, pour une troupe conduite par le curé don Cayetano Miguel Manchón
qui, armé d’une carabine et à la tête de quelques jeunes gens résolus, tente de
gagner le parc d’artillerie. Une patrouille de cavaliers polonais fond sur eux
à l’improviste, le prêtre est atteint d’un coup de sabre qui lui met la
cervelle à l’air, et ses hommes, affolés, se dispersent en un instant.
    Un autre groupe n’arrivera pas non
plus à destination : c’est celui que

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