Un Jour De Colère
d’infanterie dégage le chemin. Tirant la
dure leçon des embuscades précédentes, les soldats avancent lentement, collés
aux murs des maisons et s’abritant sous les porches, fusils pointés sur les
fenêtres et les toits, et tirant sur tout habitant, homme, femme ou enfant, qui
y apparaît.
— Peut-on passer sans
problème ? demande Marbot au caporal d’infanterie qui lui fait enfin signe
d’avancer.
— Passer, oui, répond le
sous-officier avec indifférence, mais sans problème, je ne peux rien garantir.
Piquant des éperons avec son escorte
de dragons, le jeune capitaine d’état-major part prudemment au trot. Il ne va
cependant pas plus loin que la rue de la Lechuga, où il fait halte en voyant
d’autres fusiliers accroupis derrière des voitures dont les chevaux sont morts
dans les brancards. On lui dit qu’au-delà les coups de main des gens qui
attaquent sporadiquement depuis les rues voisines et l’action des tireurs
embusqués rendent toute avance impossible.
— Quand pourrai-je
passer ?
— Je n’en sais fichtrement
rien, répond le sergent qui a des anneaux d’or aux oreilles, une moustache
grise et le visage noirci de poudre. Vous devrez attendre que nous ayons
nettoyé la rue… Aller plus loin est dangereux.
Marbot regarde autour de lui. Trois
soldats français qui portent des bandages ensanglantés sont assis contre un
mur. Un quatrième gît sur le ventre, dans une flaque rouge sur laquelle
bourdonne un nuage de mouches. À chaque coin de rue, il y a des cadavres que
personne ne prend le risque d’aller chercher.
— Est-ce que nos cavaliers vont
bientôt arriver ?
Le sergent se cure le nez. Il a
l’air très fatigué.
— Si j’en crois les tirs et les
cris qu’on entend, ils ne sont pas loin. Mais ils ont eu d’énormes pertes.
— Devant des femmes et des
civils ? Mais c’est la cavalerie lourde, nom de Dieu !
— Ça n’empêche pas. Avec ces
fous furieux, tout est possible. Et les tuer prend du temps.
Tandis que le capitaine Marbot s’efforce
d’exécuter sa mission d’officier de liaison, des Madrilènes subissent les
premières représailles organisées. En plus des exécutions immédiates, blessés
achevés ou personnes sans défense tuées alors qu’elles ne faisaient que
regarder les combats, les Français commencent à fusiller, sans autre formalité,
tous ceux qu’ils prennent les armes à la main. Tel est le sort de Vicente Gómez
Sánchez, âgé de trente ans, tourneur sur ivoire de son métier, capturé après
une escarmouche devant San Gil, et fusillé dans le fossé de Leganitos. Et celui
des jardiniers de la duchesse de Frías, Juan José Postigo et Juan Toribio
Arjona, que les soldats impériaux font prisonniers après la tuerie du guichet
de Recoletos. Tirés du jardin où ils se cachaient et amenés au-delà de la porte
d’Alcalá, près de l’arène de taureaux, ils sont fusillés et achevés à coups de
baïonnettes en compagnie des frères alfatiers Miguel et Diego Manso Martín, et
du fils de ce dernier, Miguel.
Vers midi et demi, à l’exception des
points de résistance que maintiennent les Madrilènes entre Puerta Cerrada, la
Calle Mayor, la place Antón Martín et la Puerta del Sol, les colonnes qui
convergent vers le centre avancent désormais sans trop de difficultés, en
assurant leurs communications par les grandes artères. Tel est le cas de la rue
Atocha, vers laquelle se sont rabattus de nombreux habitants qui se battaient
sur la promenade du Prado. Certains rapportent les atrocités commises par les
Français à la porte d’Alcalá et à l’octroi de Recoletos, où tous les agents ont
été faits prisonniers, qu’ils se soient battus ou pas.
— Ils les ont tous emmenés,
raconte quelqu’un : Ramirez de Arellano, Requena, Parra, Calvillo et les
autres… Et aussi un jardinier du marquis de Perales qui a eu la malchance de se
cacher avec eux. Les gabachos ont fait irruption, ils leur ont pris
leurs armes et leurs chevaux et les ont fait descendre au Prado comme un
troupeau de bétail… Et quand le brigadier don Nicolás Galet s’est présenté en
uniforme pour réclamer ses gens, ils lui ont tiré une balle dans l’aine…
— Je connais Ramirez de
Arellano. Sa femme est Manuela Franco, la sœur de Lucas. Ils ont deux enfants
et elle est enceinte d’un troisième… Les pauvres !
— À ce qu’on dit, ils fusillent
un tas de gens.
— Et ils vont encore en fusiller
plus… Nous, par
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