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Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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rue
Fuencarral. Il lui semble que des jours entiers se sont écoulés depuis cette
première heure de la matinée où il a pris la tête de la rébellion, sur
l’esplanade du Palais. Et il sent la déception le gagner. Les combattants sont
peu nombreux, comparés à la population de Madrid. Et les militaires, à part
ceux de Monteleón, où presque tous se donnent à fond, ne se montrent pas
pressés de participer à la lutte. Pourtant, Molina croit encore que les soldats
espagnols finiront par sortir de leurs casernes. C’est impossible, pense-t-il,
que des hommes qui ont du sang dans les veines permettent aux Français de mitrailler
impunément le peuple comme en ce moment, sans bouger le petit doigt pour les en
empêcher. Mais une si longue attente et l’absence de nouvelles sont de mauvais
augure. À mesure que le temps passe, que les ennemis resserrent leur étreinte
et que de plus en plus de gens meurent, le serrurier sent son espoir
s’amoindrir. Les renforts tant souhaités n’arrivent pas, trop de civils et de
militaires se démoralisent, épuisés ou pris de peur, et se retirent du feu pour
se réfugier dans le fond du parc ou les maisons voisines, tandis que les
Français se font aussi nombreux que les abeilles dans une ruche. C’est
pourquoi, profitant d’un répit de la fusillade, il s’approche de l’officier
d’artillerie qui, sabre à la main, dirige le tir des canons.
    — Quand donc les militaires
vont-ils venir nous secourir, mon capitaine ?
    — Bientôt.
    — Sûr ?
    Luis Daoiz le regarde, impassible,
l’air absent. Comme s’il ne le voyait pas.
    — Aussi sûr que Dieu existe.
    Molina, impressionné par l’attitude
de l’officier, avale sa salive avec difficulté, car il a la gorge aussi sèche
que de la morue salée.
    — Bon, si vous le dites…
    La femme qui aide au canon le plus
proche, Ramona García Sánchez, s’essuie le nez du dos de sa main sale et lance
au serrurier un regard noirci par la fumée de la poudre.
    — Vous n’avez pas entendu
monsieur le capitaine, tête de mule ?… S’il dit qu’ils vont venir, c’est
qu’ils viendront. Un point c’est tout. Et maintenant, restez pour nous aider ou
partez, mais ne nous gênez pas. C’est pas le jour de bavarder.
    — Ne vous fâchez pas comme ça,
madame.
    — Je me fâche si je veux. Et
tant pis si ça te déplaît !
    Le dernier mot est couvert par une
détonation. Un autre canon vient de tirer, et le recul de l’affût manque de
faire tomber à la renverse Molina, qui sursaute et s’écarte. En réponse arrive
une furieuse fusillade française. Au milieu de la fumée et des balles qui
sifflent, un des servants de la pièce se remet à crier en direction de l’entrée
du parc :
    — De la poudre et des
boulets !… Ici… Vite !
    De l’entrée arrivent plusieurs
civils, dont deux femmes – la jeune Benita Pastrana et la voisine de la rue San
Gregorio Juana García –, avec les munitions et leurs cartouches qu’ils portent
dans de gros couffins d’alfa en se baissant pour éviter les décharges ennemies.
Ils alimentent ainsi le canon du lieutenant Arango qui continue de prendre en
enfilade la rue San Pedro, servi par l’artilleur Antonio Martín Magdalena avec
l’aide des civils Juan González, de la femme de celui-ci, Clara del Rey, et de
ses fils Juanito, dix-neuf ans, Ceferino, dix-sept ans, et Estanislao, quinze
ans. On réapprovisionne aussi le canon qui était commandé par le lieutenant
Ruiz et que dirige maintenant, en direction de la rue Fuencarral et de la
fontaine Neuve, le caporal Eusebio Alonso avec, à ses côtés, le secrétaire
Rojo, le marchand de vin José Rodríguez et son fils Rafael. La troisième pièce
reçoit, de la même manière, quatre boulets et charges de poudre, pour tirer
vers la rue San Bernardo et la fontaine de Matalobos ; elle est servie par
les artilleurs Pascual Iglesias et Juan Domingo Serrano, le ruffian Antonio
Gómez Mosquera et le soldat des Volontaires de l’État Antonio Luque Rodríguez.
Plusieurs soldats et civils se tiennent aussi parmi eux, à plat ventre,
agenouillés ou, pour les plus audacieux, debout, tirant dans toutes les
directions pour les protéger du feu français. D’autres s’abritent derrière les
affûts, pour charger fusils et pistolets, ou reçoivent les armes qu’on leur
passe, chargées, de l’intérieur du parc. Les pertes sont sévères : ainsi
tombent Juan Rodríguez Llerena, tanneur, originaire de Carthagène du

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