Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un Jour De Colère

Un Jour De Colère

Titel: Un Jour De Colère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
redescendre.
    — Les lâches, de vrais enfants
de Satan… Pires que les gabachos  !
    Il trouve la jeune fille en train
d’observer la rue, son panier au bras.
    — Tout semble calme. Je vais
rentrer chez moi.
    Pour García Vélez, ce n’est pas une
bonne idée. Il lui dit que les Français sont partout. Et qu’ils ne respectent
rien.
    — Tu devrais attendre un peu.
    — Ça fait déjà longtemps que je
suis partie. Ma mère doit s’inquiéter.
    Après avoir scruté très
attentivement les deux bouts de la rue, la fille remonte un peu sa jupe d’une
main et se met en route d’un pas vif et craintif. Du porche, García Vélez la
voit s’éloigner. À ce moment, du côté des Conseils, il entend un bruit de
sabots, se retourne et aperçoit cinq cuirassiers qui arrivent au trot dans le
haut de la rue. En voyant la fille, ils éperonnent leurs montures et passent
devant le porche en poussant des cris de joie. Le cordonnier jure
intérieurement. La pauvre petite n’a aucune chance de leur échapper.
    « Ton destin s’arrête ici,
camarade. » Tels sont les mots qu’il s’adresse à lui-même, résolu à
affronter l’inéluctable. Après quoi, dans le claquement sec du cran d’arrêt, il
ouvre sa navaja.
    À la fenêtre du deuxième étage d’une
maison de la Calle Mayor, où il s’est posté derrière une persienne, l’employé
de la Bibliothèque royale Lucas Espejo, cinquante ans, qui vit avec sa mère
malade et une sœur célibataire, voit cinq cuirassiers français poursuivre une
jeune fille qui court devant les chevaux avant d’être rattrapée et jetée à
terre. Trois cavaliers continuent leur route, mais les deux autres font
caracoler leurs montures autour de la fille, qui se relève, étourdie.
Brusquement, elle tente de s’échapper. Un cuirassier se penche et la saisit
brutalement par les cheveux. Furieuse, elle se débat, lui mord la main, et le
Français la fait lâcher prise d’un coup de sabre.
    — Oh, mon Dieu ! murmure
Lucas Espejo, en repoussant sa sœur qui veut regarder, elle aussi.
    Horrifié, l’employé de la
Bibliothèque royale est sur le point de quitter la fenêtre quand, d’un porche
voisin, il voit sortir un homme jeune portant espadrilles et large ceinture, en
manches de chemise sous son gilet, qui se jette, navaja à la main, contre le
cuirassier et poignarde le cheval au col ; celui-ci plie les jambes de
devant, tandis que l’homme agrippe le cavalier, dressé sur sa selle et lui
plante à plusieurs reprises sa lame de deux empans dans la jointure de la
cuirasse, avant que le second cuirassier, arrivant par-derrière, le tue d’une
balle de pistolet à bout portant.
    Une grêle de balles françaises
oblige à rentrer dans l’appartement les trois hommes qui se battent, retranchés
derrière les matelas, au balcon qui donne sur la rue San José, face au mur de
clôture du parc de Monteleón.
    — Ça devient mauvais, dit le
maître de maison, don Curro García, en tirant les dernières bouffées de son
havane.
    La bouteille d’anis qui roule, vide,
à ses pieds, n’a pas modifié sa fermeté. Il s’est servi de son fusil avec une
efficacité de chasseur contre les Français rassemblés au coin de la rue San
Bernardo. Mais le feu ennemi de plus en plus intense permet à peine de lever la
tête. À côté de don Curro, le jeune Francisco Huertas de Vallejo a la bouche
sèche et amère, remplie d’un désagréable goût de poudre. Ses lèvres et sa
langue sont grises, car il a mordu et glissé dans le canon de son fusil
dix-sept des vingt cartouches en papier ciré – chacune contenant une balle et
la charge nécessaire pour tirer – qu’on lui a données avant le début du combat.
Personne n’est venu leur apporter de nouvelles munitions du parc d’artillerie,
à peine visible dans la fumée et les éclairs des tirs de canons. L’ouvrier
typographe Vicente Gómez Pastrana a fait une tentative de sortie, après avoir
brûlé sa dernière cartouche, et il se tient maintenant adossé au mur du salon
dévasté – le plafond et les meubles sont criblés d’impacts de balles –, les
mains dans les poches, regardant ses compagnons tirer. Tout à l’heure, il a
voulu aller chercher des munitions, mais les ennemis sont très près, le feu est
nourri et il est impossible de traverser la rue. En bas, il ne reste personne,
et dans les autres maisons non plus. Inquiet, le typographe a dit que les gabachos pouvaient désormais apparaître d’un moment à

Weitere Kostenlose Bücher