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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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un uniforme conçu par le roi. C’est un signe de compagnonnage, l’habit de son armée privée dont le règlement principal est de s’aimer, de s’amuser. Il s’agit de justaucorps à brevet – car le mot signifie bien que seuls le portent les fidèles, brevetés et « adoubés » par Sa Majesté. Serrée à la taille, évasée vers le bas, cette veste de forme longue, de couleur bleue, est richement ornée d’or, d’argent et de passements de dentelle. Sitôt à Versailles, on l’endosse. Et Paris s’efface. Oui, c’est un monde à part, refuge d’une vie différente et personnelle. Nul frondeur, nul calculateur, nul intrigant ne passe pour l’instant la frontière de ce royaume privé. N’y entre que l’amour et, pour le plus grand malheur de Marie-Thérèse, la fidélité aux vraies valeurs du roi. Voilà qui est dit. Versailles serait une parenthèse.
    Comment imaginer qu’il en soit plus ? Un palais pour accueillir la Cour ? Louis XIV en aurait l’intention. Delaforge en doute. Ce qu’il voit est sans allure, sans grâce. En un mot, peu majestueux. Il lui vient l’image des cabanes que construisent les enfants pour abriter leur petit paradis. Una piccola casa che fa fabricare a Versaglia per ricreazione . Le roi y renoncera un jour. Versailles sera son dernier jouet.
    Fichtre ! La sentence ne plairait pas à Le Vau, le premier architecte. Il prétend que Sa Majesté aurait de grands projets, dépassant en magnificence Vaux-le-Vicomte, la merveille dont il fut l’artisan pour le compte de Nicolas Fouquet, surintendant des Finances 3 . Versailles sera grandissime, gigantissime , extravagantissime . Inventions et superlatifs se bousculent dans la bouche de cet homme trop enthousiaste. Car, sur place, qu’en est-il ? Non, ce n’est pas encore Rome, lui confiera Delaforge à son retour. Et bien sûr, Le Vau s’emportera. Balayant les sarcasmes, il reprochera à Delaforge son habituelle manque de vision . Bâtir, dit-il, c’est anticiper. Dans dix ans, vingt, peut-être, Versailles deviendra le plus extraordinaire écrin du monde. Vingt ans ! Qui pourrait voir aussi loin ? Les princes sont impatients. Une heure ici, une nuit là. Comme les astres, d’autres lubies feront tourner la tête du Roi-Soleil. Versailles, ce château de conte pour tout petits, s’endormira, retournera à l’oubli. Diable ! s’insurgera Le Vau. Il est le mieux placé, après Colbert, pour savoir que près de deux millions de livres (une folie à ne pas ébruiter, chuchote-t-il) ont déjà été investis en deux ans dans l’embellissement du domaine de Louis XIV. La somme excite la curiosité, l’affaire devient sérieuse. C’est ce qu’il faudra pour bâtir le collège des Quatre-Nations 4 . À Versailles, où sont passés ces fameux millions ?
    Delaforge est impatient d’approcher et de voir par lui-même le miracle dont lui a parlé Le Vau. Depuis peu, il travaille pour l’architecte et s’intéresse aux chiffres. Son expérience lui permet à présent de juger les faits, plus parlants à ses yeux que les prédictions architecturales. Bien que loin de l’entrée du petit château, il aperçoit l’ornementation des toitures, il note le ceinturage du premier étage par un balcon en fer forgé. En étant généreux, voilà cent mille livres. Il sait que des peintures de Charles Errard décorent l’intérieur. Il y ajoute la pose de serrures aux portes des appartements. Et dépense cent mille de plus. Il veut bien ne pas oublier le jasmin que le roi veut partout et qui étourdit un Colbert, grappillant les sous et gémissant dans l’espoir de freiner l’enthousiasme de son maître. Mais deux millions de livres ! Delaforge les cherche et ne les trouve pas.
    Le Vau est un panier percé, un incorrigible dépensier, un arrangeur de devis pour le plus grand bien de ses intérêts. Il orchestre les folies de Louis XIV, y trouve son compte, et tant que la manne descend du ciel – tant que Colbert ferme les yeux –, il se remplit les poches. Delaforge tient les comptes de l’architecte. Il est bien placé pour savoir que ce dernier a le sens des affaires. Mais qu’il cesse de lui mentir ! Versailles n’existe pas.
    Au premier regard, l’ennui domine. Les routes ne sont pas pavées, les arbres manquent, la terre est gorgée d’eau et voici que des moustiques entrent dans le carrosse, porteurs des fièvres qui infectent ces cloaques que l’on voit partout. L’humidité se mêle à la chaleur du jour,

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