Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
Vom Netzwerk:
enivrant de fleurs qui vient du midi, par-delà le parterre où travaillent les pépiniéristes. Voici, sur la gauche, l’Orangerie dont lui parlait Le Vau.
    — Quand vous y serez, respirez, l’ami. Faites-le en fermant les yeux. C’est l’île de Malte, les senteurs de l’Asie…
    Une promesse que Delaforge jugeait présomptueuse, d’autant qu’il n’a pas la moindre idée de ces mondes exotiques.
    Se décidant enfin à quitter carrosse, il avance vers ce nouveau pays, pendant de Babylone. Une patrouille de cinquante horticulteurs tourne autour d’une assemblée de bigaradiers, ces orangers sauvages dont les fleurs blanches et roses exhalent les senteurs virginales d’une nouvelle saison. On vient de les sortir de l’Orangerie pour exalter leur beauté. Leurs feuilles au vert puissant sont nettoyées délicatement, une à une, comme un rameau de cristal. L’hiver a déposé dessus une fine couche de poussière qui accroche les rayons du soleil basculant au-dessus du château. Les parterres du sud profitent de ce semblant de climat méridional pour héberger les premiers crocus, les jacinthes, les tulipes rouges et jaunes, les iris hermaphrodites qu’un bataillon d’horticulteurs regroupe dans des milliers de pots qu’ils iront déposer dès les pétales éclos aux quatre points cardinaux des jardins de Sa Majesté. Et tandis que les narcisses se baigneront dans le bassin de la Sirène, les autres s’en iront au nord, distraire et colorer le bosquet du Bois-Vert, l’allée de cascatelles où chante l’eau claire, le bosquet du Dauphin ou celui de la Girandole 7 .
    Tout ici est parfait, et l’on peine à croire qu’il s’agit de l’invention des hommes, tant leur belle création s’accouple au naturel. On cherche le laid, ne le trouve point, quand l’œil s’égarant plus loin découvre enfin vers l’ouest l’inachevé. Ce sont des plaies encore ouvertes, ici et là, des monticules de terre, vestiges de ce qui fut. Des prés, des marécages, du bocage fait de bosses et de rigoles, des arbres biscornus, des granges dont le toit de chaume s’effondre, des champs abandonnés, un moulin aux ailes brisées, de pauvres fermes dont la cheminée ne crache plus de fumée, des haies à perte de vue redevenues sauvages, mais que peu à peu le génie et les forces titanesques d’hommes infatigables conquièrent, asservissent et modèlent afin de créer un royaume nouveau, havre de beauté, dont il est impossible de fixer les limites tant le regard s’égare de tous les côtés.
    — Où s’arrête le domaine ? murmure Delaforge.
    Bourdine se fait historien :
    — Louis XIII, le père de Sa Majesté, a d’abord exproprié quelques terres paysannes. Mais le plus gros fut acquis auprès de l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi. Depuis, les trois fleurs de lis flottent sur Versailles 8 .
    Maintenant, il lui plaît d’être géographe :
    — À gauche, au midi et un peu plus à l’ouest, il y avait autrefois la paroisse Saint-Pierre de Choisy. À droite, on trouvait Notre-Dame de Trianon. Sa Majesté a tout acheté.
    Fouet en main, il vient de faire un arc de cercle, dessinant les contours imprécis d’un empire qui suit les courbes du soleil. Dedans, du lever au couchant, c’est désormais Versailles.
    Les deux millions sont là, se dit Delaforge en se rendant sur le perron du parterre occidental qui donne sur les jardins. Ici, il prend la mesure de ce qui existe. Quelle est la taille de ce parc ? Il se place au centre afin d’apprécier la profondeur de l’allée centrale, mais cette ligne infinie 9 désoriente l’esprit. Au bout, il imagine qu’on y creusera bientôt un bassin 10 , qui lui-même se prolongera encore 11 , puisque des paysans, guère plus gros que des fourmis, retournent la terre, rasent, bêchent, brûlent. Jusqu’où ? Sur des centaines de perches, sûrement 12 . Jusqu’à quand ? Vingt ans, ce n’est pas de trop, réalise-t-il, donnant raison pour la première fois à Le Vau. Il se retourne pour regarder le château. Bientôt, le vieux relais de chasse de Louis XIII sera comme une verrue au milieu de ces splendeurs. Il faudra le raser, en reconstruire un autre. Vingt ans, en effet. Peut-être plus. Et combien de millions de livres ? Des dizaines, calcule-t-il. Non, corrige-t-il, faisant enfin sienne l’exaltation de l’architecte du roi, des centaines… Des centaines de millions… Delaforge ne sait ni toiser ni tailler les pierres, mais il sait

Weitere Kostenlose Bücher