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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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donnait jusqu’au mardi suivant pour décider du futur. Ou Toussaint se fiait à la sagesse et à la sincérité de son ancien préfet de discipline, ou il agissait selon son caractère, emporté et sauvage. Ce sermon sirupeux et naïf restait hors de portée d’un être ballotté par la haine depuis tant d’années. Le plan du manchot était plus définitif. Et, en effet, le maçon Pontgallet y prenait place.
    En passant devant la sacristie, le menuisier Pillon avait parlé à l’organiste d’un prochain chantier. Il se situait tout près de l’hôtel du marquis de La Place, au couvent des Annonciades célestes, voisin de la demeure Carnavalet. Toussaint se souvenait qu’enfant il entendait le gazouillis des Filles bleues 4 , les occupantes des lieux, quand elles passaient rue de la Couture-Sainte-Catherine. Par l’œil-de-bœuf situé dans les combles, il voyait le défilé des habits blancs, drapés dans un manteau, et un scapulaire couleur azur posé sur leurs épaules. Elles chantaient l’amour de Dieu, puis rentraient prier dans l’église. C’est ici que Pillon devait se rendre prochainement pour intervenir sur l’encadrement du tableau du maître-autel, un chef-d’œuvre de Poussin représentant l’Annonciation. Les nobles du Marais venaient chaque dimanche s’incliner devant. La Place en faisait partie, se disait Toussaint. Et si ce n’était pas aujourd’hui, bientôt il s’approcherait de ces intouchables. Pillon avait précisé qu’il ferait appel à un maçon car il avait besoin de mains expertes pour desceller le tableau de l’autel. Il songeait à Bergeron, à Mazière, de puissantes dynasties de bâtisseurs. Ou encore au maître Pontgallet, un maçon fameux dans le quartier du Marais.
    Toussaint, à vingt ans, était aveuglé, prêt à tout pour croire à sa revanche. Il entrerait chez Pontgallet pour que Passe-Muraille le laisse en paix. Dès que ce dernier aurait le dos tourné, il reprendrait sa liberté. Vite. D’abord, il appliquerait son châtiment, l’œuvre qui le tenait éveillé, puis il se détacherait de la charité candide, insupportable de son protecteur. Il renouerait avec l’orgueil qui s’accordait mal avec l’impuissance, puis il lâcherait prise puisque plus rien n’avait de sens pour un estropié. Oui, il mettrait fin à cette vie devenue inutile.
    Étrangement, le fait de choisir librement sa mort, en somme, de maîtriser son destin, renforçait son envie de se battre. S’entêtant dans l’idée de régler ses comptes avec la clique du marquis de La Place, il organisait sa vindicte. Pour François, Antoine et leur père, la cause était entendue. Il les condamnait à mort. Qui d’autre ? Il n’oubliait pas Marolles. Le cas de son parrain – une alliance qui lui faisait horreur – méritait plus d’attention. La sentence serait moins brutale, mais la punition amère. Si la méthode variait, le résultat demeurait. Le jésuite connaîtrait l’opprobre, subirait l’ostracisme du maudit. Banni par les siens, il serait rejeté par la compagnie de Jésus, pour avoir couvert la faute de son mécène. Il finirait plus orphelin que Toussaint ne l’avait jamais été.
    Et ce dernier calculait, devançait son triomphe, aiguisant sa colère comme hier il affûtait son couteau. Mardi, avait dit Calmés, pour se décider. Bien. Delaforge entrerait dans le rang et patienterait jusqu’à ce que le destin le venge. Il dirait oui pour qu’on le laisse en paix et, quand il se sentirait prêt, il se présenterait chez le marquis. Ou lui planterait son couteau, devant le tableau de l’ Annonciation .
    Une seule question troublait la paix intérieure qu’il pensait avoir trouvée. Que déciderait-il à propos d’Aurore ? De toute évidence, elle n’avait rien à voir avec le complot fomenté par sa famille, mais en la faisant souffrir, il toucherait son père au cœur. Afin de briser cet homme détestable, fallait-il débuter par cette demi-sœur qu’il avait cru aimer ? Il ne tranchait pas, gardant cette part d’incertitude et de jouissance pour le jour où il se trouverait en face du marquis ou de François, l’aîné. Oui, il se vengerait de tous. Et il fermait les yeux, tentant d’accueillir le sommeil, rongeant son frein en attendant le retour de Calmés. Mardi. Trois jours, deux jours, demain. Pour patienter, il répétait les mots prononcés par le jésuite, les mots qui accusaient les La Place et expliquaient la sauvagerie des pensées de leur

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