Un jour, je serai Roi
l’air devient lourd, étouffant, l’alchimie est parfaite pour que la cohorte des diptères aspire le sang frais des explorateurs. On en manque ici à coup sûr, on est affamés, car rien ne se montre, n’eût été une poignée de paysans indigènes mal fagotés, traînant le sabot et regardant de traviole l’attelage luxueux des Parisiens.
Delaforge soupire et baisse la tête sur ses souliers. Est-ce la tenue qu’il fallait ? Pourvu qu’il n’ait pas à marcher. Ah ! Ce Le Vau… Que trouve-t-il de beau dans cette campagne ? Il imagine un instant que l’architecte aurait pu vouloir se moquer de lui. Une farce comme il les aime, aux dépens de son jeune associé. Non, c’est de trop. Delaforge est en service commandé. Il vient vérifier les thèses de l’architecte : Versailles serait une mine.
« Un filon qui profitera à celui qui l’aura trouvé… »
Mais que faut-il chercher ? Et où ? Le Vau a souri :
— Je vous prête Bourdine. En rentrant, passez me voir…
Pour Delaforge, ce n’est pas un jour à résoudre des énigmes. La conduite de Bourdine a aggravé le charivari qui martyrise sa tête. Vacarme et tintamarre ! Il faut surtout accuser le manque de sommeil et ce vin de Champagne dont chaque bulle lui coûte plus cher que la nourriture de ses chiens. Mais sa maîtresse, la gourmande comtesse Angélique de Saint-Bastien, en réclame à cor et à cri. Les bulles de son élixir préféré, de son « philtre d’amour » dit-elle, exacerberaient sa sensualité. De fait, elle en avale un peu, lance la coupe au feu et se jette au cou de son amant réclamant toutes sortes de coquineries que son mari cocu, un comte cacochyme, lui refuse. Tudieu ! Y penser distrait Delaforge du triste spectacle d’un Versailles qui peine à naître. Il enrage d’avoir dû délaisser avant l’aube les caresses de cette jeune femme de dix-neuf ans, manquant d’amour et s’accommodant de ses péchés en répétant que ce n’est pas à trente ans qu’elle jouira de sa beauté. Plus tard, elle deviendra dévote et promet d’aider les indigents, de s’adonner à la prière – des vœux pieux libérant sa conscience. Elle aime les saillies drolatiques, et plus encore, celles de son amant qui, cette nuit, fut merveilleux. Son mari, le vieux comte de Saint-Bastien, est en route pour Carcassonne où il chassera les coléoptères, ces étranges insectes à carapace. Il se passionne pour le scarabée, la coccinelle et, en saison, le hanneton. Début mai, la nature revit. Les bestioles se montrent. Angélique est libre jusqu’à l’automne. Libre de s’étourdir.
Sa passion remonte à un mois et l’affole. Est-elle amoureuse ? Elle a croisé cet homme sur l’île Saint-Louis, près de l’hôtel Lambert. Son mari y édifie une demeure dessinée par Le Vau. La curiosité et le désœuvrement l’ont poussée à s’y rendre au bras du comte. Toussaint établissait un devis. Par quoi fut-elle émue ? La balafre ou la bouche charnelle ? Les yeux gris ou la main gantée, mystère d’une existence brutale, guerrière, aux antipodes de sa vie affadie ?
— Connaissez-vous un ébéniste ? murmura-t-elle en tremblant. Je désire meubler mes appartements…
Le lendemain, Delaforge la guidait faubourg Saint-Antoine. Elle n’a que peu résisté quand, sûr de lui, il s’est approché. Il l’a prise comme une fille de joie, au fond d’un atelier. Elle y a abandonné son honneur, y renonce depuis avec de plus en plus de plaisir, compromet son rang dans des étreintes qui l’enchaînent chaque jour davantage. Madame de Saint-Bastien est déraisonnée, sa passion tourne à la folie. Un mot de lui, elle abandonnerait fortune et titre. Lui ne songe qu’à prendre et donner du plaisir. Et le fit bien cette nuit encore.
— Bourdine, je suis fourbu. Guidez-moi et faites au plus court. J’ai hâte de rentrer à Paris.
— Par quoi monsieur veut-il commencer ?
— Ne changez rien à vos habitudes, soupire Delaforge.
Que dire à Le Vau au retour ? Comment ne pas déplaire ? Ce qu’il voit renforce son idée. Versailles n’est rien qu’un bourg. Mais il procédera avec prudence pour ne pas froisser l’architecte du roi. Il en a trop besoin.
« Croyez-moi, s’entête Le Vau. Bientôt, Versailles deviendra le lieu de fête le plus couru du monde… »
Fichtre ! Qu’on se souvienne des festivités de l’an passé. Quoi de mieux que le Carrousel des Tuileries ? Lully composait les ballets, Molière occupait
Weitere Kostenlose Bücher