Un jour, je serai Roi
ne se fractionnait pas. Au contraire, elle se renforçait et s’étendait, la descendance engendrant des entrepreneurs, des architectes, des intendants des Bâtiments, des jurés des œuvres de maçonnerie, dans l’espoir que les enfants produiraient à leur tour des trésoriers généraux des Bâtiments ou qu’ils seraient, un jour, anoblis 8 ou posséderaient leur banc à Notre-Dame 9 .
L’élévation sociale, véritable credo de ce milieu, fonctionnait sur des règles précises dont le dessein premier était de se cuirasser contre toutes les ingérences extérieures. L’autre, c’était l’ennemi. Rien ni personne ne devait briser le cercle qui protégeait les possesseurs de l’honorable titre de maître maçon. La cooptation permettait de trier le bon grain de l’ivraie, de choisir des collègues qui deviendraient des associés car, entre personnes de bonne compagnie , on parvenait toujours à s’entendre. Pour preuve, Delaforge avait été témoin, le second lundi de son apprentissage, d’une réunion, rue de la Mortellerie, à propos d’une société de construction visant à unir les forces de deux familles qui, ainsi, se répartissaient les rôles, les travaux et les risques financiers. Nul besoin de contrat pour ce pacte. Les décisions se prenaient et s’actaient d’un simple hochement de la tête. Ce fut donc rapide, franc et direct. Le vrai sujet n’était pas là. On craignait plus la présence d’un maçon inconnu – il arrivait du Limousin et s’appelait Volton –, usurpant le titre d’architecte, et cherchant à se faire une place à Paris. Les architectes se plaignaient du faussaire, exigeant que chacun reste à sa place, et demandaient aux maçons de régler ce différend. Il y eut peu de discussion. Il fallait maintenir une séparation stricte entre les métiers. On chargea donc Nicolas Pontgallet d’informer l’Académie d’architecture que les maçons soutiendraient la condamnation du Limousin, la règle essentielle étant de maintenir, et de renforcer s’il le fallait, les frontières fixant les domaines de chacun. Et l’assemblée se dispersa. Sitôt les visiteurs partis, Delaforge rompit la règle du silence qu’il s’était fixée et questionna son cicérone sur cette position qui interdisait aux maçons, au même titre que l’accusé, d’empiéter sur le territoire des architectes. Ravi de faire comprendre l’habileté de la manœuvre, Pontgallet s’expliqua :
— En protégeant les architectes, nous agissons d’abord pour nous. À chacun son pré, le leur est petit, le nôtre grand. Qu’y a-t-il à gagner à tirer des traits, faire des esquisses, suer pour obtenir l’accord versatile d’un client qui n’aimera pas une courbe, discutera la pente d’un toit à l’infini ? Quand le maçon arrive, tous se taisent. Il s’agit de bâtir des murs et non de discuter des finesses de l’art, sujet où le plus idiot des hommes se croit utile. Nous alignons bêtement des pierres et il faudra qu’elles soient droites. Mais qui connaît notre science ? Qui pourrait dire le prix, le poids, la quantité des choses ? Ces secrets, il faut surtout les protéger. En empêchant le maçon de se prétendre architecte, nous exigeons en retour que l’inverse soit aussi vrai. Ainsi, nous coupons l’herbe sous le pied à ceux qui auraient compris que la fortune vient à ceux qui bâtissent. Nous voulons que les métiers soient cadrés, organisés, délimités, et tous croient que ces règles nous pénalisent. Non ! Elles nous défendent car, si chacun reste à sa place, nous sécuriserons le trésor qui niche entre nos mains.
Il y avait beaucoup de bon sens chez cet homme, mais aussi l’envie d’éblouir l’ignorant. Or donc, il ajouta :
— Mon fils deviendra architecte. À quoi bon vouloir exercer ce métier si l’un de nous s’en empare et en partage les bienfaits entre les familles ? Voici à quoi servent les alliances…
La réunion des intérêts entre les maçons et les architectes se produisait donc par la répartition des rôles et la conclusion d’accords souvent cimentés au gré de rapprochements familiaux. Une dernière raison expliquait ainsi que les maçons, autant que les architectes, protègent mordicus leur statut : les uns et les autres, mariés ou associés, se partageaient les immenses promesses des constructions privées. Voilà où résidait le vrai secret – la Fortuna : être architecte ou maçon du roi rapportait de faibles revenus, mais
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