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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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sera fini.
    Jean n’entendit pas. Anne sortit de ses songes :
    — Que dis-tu ?
    — L’apprenti s’en va. Je le rends au père Calmés.
    Sa fille ne comprit pas tout de suite le sens de ses paroles.
    — Il a décidé de nous quitter ? demanda-t-elle sur un ton presque chagrin.
    — Penses-tu ! grogna le bâtisseur que les minauderies de sa fille agaçaient. La soupe de ta mère est bonne, et ce n’est pas le labeur qui l’étouffe. Il part car je l’ai décidé.
    Anne étouffa un cri qui renforça l’agacement de son père.
    — Tu romps la promesse faite au père Calmés ! le défia-t-elle.
    Pour toute réponse, il engouffra d’un coup un gros morceau de pain qu’il poussa d’une gorgée de vin coupé d’eau.
    Elle bondit aussi brutalement que son frère :
    — Dieu vous punira !
    Elle fuyait. Sa mère tenta de la retenir :
    — Anne !
    Elle cavalait déjà dans l’escalier sans retenir ses larmes.
    — Nicolas, mon mari… commença l’épouse.
    — Tais-toi, répondit-il aussitôt. Tu vois bien que ce garçon est devenu un problème. Depuis qu’il est chez nous, rien ne fonctionne comme avant. C’est dit. Je n’y reviendrai pas. Il décampe.
    Il alla se poser devant la cheminée, oubliant sa promesse de graisser les portes de l’armoire.
    La nuit porte conseil, songea Marguerite. Demain est un autre jour.

    À quoi pensait Delaforge, niché dans la petite chambre des combles ? La dispute familiale des Pontgallet ne lui avait en rien échappé. Les murs de la maison étaient peu épais et il se gardait bien de fermer sa porte. Tout d’abord, il était renvoyé. Pouvait-il espérer un ultime revirement grâce au soutien de madame et celui de sa fille qui, ce soir, n’avait su cacher l’attachement qu’elle lui manifestait ? Était-elle charitable, comme sa mère, ou plutôt amoureuse ? Il fallait y réfléchir froidement, voir en quoi la réponse se révélait, soit intéressante, soit encombrante. D’abord, pouvait-elle être attirée par un manchot ? L’examen lucide et froid des avantages que lui procurait son infirmité auprès d’une femme avait quelque chose d’humiliant et de détestable pour l’ancien lutteur des arènes, mais il se soumettait hypocritement à tant de choses intolérables depuis un mois… Cette fille aux allures de sainte était-elle émue par son infériorité ? Bouleversée ? Ce sentiment révoltait celui qui se voulait toujours invincible et lui convenait à la fois, car il pouvait s’en servir pour la réussite de son plan. Lui-même, qu’éprouvait-il ? Absolument rien. Elle n’était ni laide ni belle. Plutôt falote et inconsistante. Allongé sur le lit d’une chambre aussi dénudée et impersonnelle que celle que lui avait procurée Roger de la Montagne au Chapeau rouge , il passa en revue son sujet : cheveux filasses, petits seins, derrière plat. Anne portait des vêtements tristes, reflets de ses yeux qui accueillaient un regard naïf et désespérément éteint. La fille suait l’ennui. Mais ce manque d’attirance arrangeait Delaforge qui, gardant la tête froide, ne manquait pas une occasion de lui sourire – seulement quand son père ne les regardait pas. Ainsi, une sorte de complicité, aussi fausse que niaise, l’unissait à la pucelle. Elle lui servirait demain, tout comme la gentillesse sincère de sa mère avec qui elle partageait la sensibilité nigaude des gens qui, après avoir beaucoup manqué, se reprochaient de vivre dans l’aisance.
    Mais, sans événement nouveau, l’influence des deux femmes ne compterait pas face aux deux lourdauds du clan. Le fils, jaloux, aigri, aussi fat que stupide, vivait dans l’ombre du père. Il détestait Delaforge depuis la première heure comme s’il craignait l’intrus, comme si sa présence mettait en danger le cocon dans lequel il vivait. Sa rage se fondait sur ce qu’il voyait : sa mère prenait la défense du gêneur tandis que sa sœur envoyait au même des œillades pitoyablement langoureuses… Depuis un mois, il se sentait rejeté, moins aimé, et rien ne paraissait plus faux, mais pour ce jeune homme aussi capricieux que l’enfant gâté, le renvoi du mufle, de l’inutile mangeant à sa table, prendrait l’allure d’une victoire. À la manière du lutteur, Toussaint Delaforge jaugeait les forces en présence, cherchait les points faibles, choisissait la façon d’attaquer. Paradoxalement, ce fils influençable et faible était le plus dangereux. Il voulait qu’on le soutienne,

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