Un jour, je serai Roi
L’oiseau était sa proie, aucun homme, pas même un roi, n’y toucherait. Le gant fut déchiré, le sang coula. Alors qu’un écuyer se jetait sur le chien pour l’égorger, Henri IV ordonna de le laisser en vie. Le futur Louis XIII regardait la scène d’un air terrorisé. Son père s’en rendit compte et vint vers lui.
— Ne craignez rien, mon fils. Je ne sens déjà plus la douleur et, voyez vous-même, la plaie est peu profonde.
— Sire, pourquoi l’avez-vous laissé en vie ? bredouilla l’enfant. Il vous veut du mal…
— Souvenez-vous de ce chien quand votre heure sera venue d’être roi, répondit son père. Seul l’ami vous trahit. Je le croyais tel, je ne m’en méfiais pas, et voilà pourquoi il a pu me blesser. La leçon est comprise. Je le garde, mais le surveillerai d’un œil. Ainsi, il ne pourra plus me nuire. Maintenant, songez à sa mort. Il faudrait le remplacer et comment savoir si je ne choisirai pas plus nuisible ? Le nouveau peut se montrer docile, je le croirai sans danger, et quand je m’y attendrai le moins, il m’attaquera. Aussi, surveillez ceux qui se disent fidèles, plus encore que vos ennemis. La trahison arrive par ceux auxquels on ne s’attend pas. Retenez cette leçon.
Est-ce pourquoi Louis XIII se montre méfiant ? Une chose est sûre : de père en fils, la chasse coule dans les veines des Bourbons.
Depuis peu, le carrosse avance au pas. Louis XIII cherche la clairière qui se cache derrière un épais bois de chênes. Il faut connaître pour la trouver du premier coup.
— C’est ici.
Le roi montre à l’enfant une trace qui se dessine à peine entre les arbres. L’herbe est légèrement couchée, piétinée par le gibier, mais il faut son œil d’habitué pour deviner la trouée. Aussitôt, il frappe sur le toit du carrosse. D’un geste sûr, le cocher tire sur les rênes. Louis XIII ouvre sa portière avant même que l’arrêt soit assuré. Un écuyer se presse pour l’aider. Il refuse, saute à pieds joints, gratte le sol de sa botte, repère bientôt l’empreinte d’une perdrix. Le Dauphin l’a rejoint et regarde son père, cherchant à comprendre les règles de ce nouveau jeu.
— Ne marchez pas ici, Monsieur mon fils, vous risqueriez de brouiller les pistes. Allons, suivez-moi, maintenant.
Louis le Juste n’est plus le même. Il redresse le buste, parle d’une voix forte, saisit l’enfant à l’épaule pour lui éviter de trébucher sur une souche morte alors qu’ils s’engagent dans l’étroit passage. Le roi marche devant, taille, coupe les branches basses, dégage la route à l’aide de la miséricorde 5 qu’il portait à l’instant à la ceinture. Son fils le suit sans faiblir, lève haut les jambes pour franchir des obstacles qu’un géant de sa taille affronte courageusement. Son père se retourne parfois et l’encourage de la voix. Mais il a peu à faire tant l’enfant veut prouver son audace.
Qui devinerait qu’il s’agit du roi et du Dauphin ? Rien ne les distingue des sujets de la Couronne. Leur tenue est ordinaire, leurs échanges brefs, badins, naturels. Ceux d’un père et d’un fils en balade qui ne calculent, ne pèsent rien, à l’inverse de ce qu’ils sont au quotidien. Le fait d’être simple est donc extraordinaire . L’explication se trouve dans le fait qu’ils vont seuls. À l’entrée du sentier, Sa Majesté a ordonné qu’on ne l’accompagne point. À cent pas, on devine encore sa silhouette, mais celle du petit a disparu. L’épaisse végétation de leur route de fortune se referme peu à peu, au grand dam de la garde, hésitant entre désobéir ou les perdre de vue. Mais les deux aventuriers ont oublié Jean-Armand du Peyrer, comte de Tréville, et plus encore mousquetaire, qui suppliait de les accompagner et n’a pu que se soumettre quand le roi, sur un ton inhabituellement sec, lui intima l’ordre de le laisser en paix 6 .
Depuis qu’ils se savent assez loin pour ne plus être vus, ils flânent, laissent aller le regard sans craindre d’être observés à leur tour, découvrent, surtout pour l’enfant. Soudain, celui-ci s’est accroupi et il appelle son guide qui étudiait une boule de poils bruns accrochée aux brindilles d’un hêtre. La route est empruntée par un cerf.
— Qu’est-ce que c’est ? bredouille le petit.
Il désigne un scarabée doré.
— Une créature de Dieu, répond le roi.
Louis Dieudonné pointe l’insecte de l’index, tente de compter le nombre
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