Un jour, je serai Roi

ce qu’il doit dire ou faire. Tout à l’heure, il avait faim. Son père a ouvert une besace dans laquelle se trouvaient des tranches de pain et un morceau de lard qu’ils mordent gaillardement. Il voit la journée comme un divertissement et l’apprécie puisqu’il n’a jamais joué avec son père, toujours entouré, occupé, inatteignable. Il se tait, détaille ce visage, voit qu’il a quelques cheveux gris, s’accroche à chacune de ses paroles, même s’il est dur de tout retenir. Voilà, lui raconte-t-on, comment tailler un bout de bois, siffler en coinçant un brin d’herbe entre deux doigts, imiter le chant du merle et celui de la caille qui courcaille, cachée derrière ces roseaux… Pour cette initiation – car il s’agit aussi de cela –, le roi juste use de gestes, de symboles et aussi recourt à la comédie. Et qu’il lui semble bon de faire rire aux éclats son enfant !
    La nature, plus encore que la chasse, devient un instrument d’éducation. Peut-on tout apprendre en un jour ? Sûrement pas. Mais voilà comment s’orienter, chercher vers où le soleil dormira, trouver à quoi il sert – et combien il domine les éléments. Louis Dieudonné prend goût à ces exercices moins ennuyeux que ceux de ses maîtres.
    La journée s’étire ainsi. Il est midi, raconte encore le roi, en montrant que l’ombre a disparu, mangée par l’astre qui la dessine, quand celui-ci est à son firmament.
    — Quand reviendra-t-elle ? s’inquiète le petit.
    — Ce matin, elle était dans votre dos. Le temps de manger, et vous marcherez dessus à chacun de vos pas.
    Parfois, il est difficile de comprendre les tours de passe-passe de ce magicien. L’enfant écarquille les yeux devant tant de mystères qui le dépassent. Le roi comprend qu’il ne peut aller plus loin.
    — Êtes-vous fatigué ?
    — Non, Sire, répond-on fermement.
    — Pourtant, vous baîllez…
    — Je repose mes yeux, ment-il en bombant le torse. Je prends des forces en attendant la chasse !
    Voilà qu’on en revient à la promesse faite pour célébrer un anniversaire. Mais il n’y a ni faucon ni émerillon 8 .
    — Préparons-nous ! lance cependant Louis XIII sans trop savoir comment expliquer au Dauphin qu’il est trop jeune pour se mesurer au gibier.
    — Donnez-la moi, pleurniche-t-il en tentant de saisir la miséricorde de son père.
    Ce dernier est courbatu. Les douleurs au ventre se réveillent. Le soleil vient de passer derrière la cime des arbres, la lumière décline lentement. La leçon de chasse ? Il respectera sa parole ; il le faut. Alors, il s’emploie à chercher une trace sans y croire, et s’engage à l’est, s’éloignant un peu plus du carrosse et de ses gardes.
    — Vous sentez-vous prêt ?
    Louis Dieudonné opine d’un air sérieux. Mais à quoi devrait-il s’attendre ? À tout hasard, il se saisit de son épée en bois.
    — Avant de s’armer, il convient d’étudier si l’on est chasseur.
    Eh quoi ! L’enfant en est convaincu.
    — Quelle qualité doit-on posséder ? demande le roi.
    — La force !
    — Et encore…
    L’enfant n’a plus d’idées.
    — Savez-vous qui je suis ? commence Louis XIII.
    — Mon père ! crie le fils.
    — Et qui d’autre ?
    — Le roi, Sire ! ânonne le petit pour l’avoir tant de fois appris.
    — Croyez-vous que je sois fort ?
    Louis Dieudonné regarde ce visage aux traits tirés, ces poils gris piqués dans la barbe… Savant, oui, mais invincible ?
    — Ai-je toujours assez de vigueur pour régner sur des millions de sujets ? insiste le monarque.
    — Des millions ?
    — Autant que les gouttes de pluie un soir d’orage…
    — Comme celles qui picotent le front ?
    — La puissance n’est pas tout. Et régner ou chasser s’annonce pareillement…
    Le petit n’imaginait point que la chasse était aussi compliquée.
    — Croyez-vous que l’animal s’inclinera parce que je suis le roi, et vous, le Dauphin ? Le combat se fait d’égal à égal. Et la force ne suffit plus. S’y mêlent la ruse, la patience… Il faut attendre, se méfier de la branche sèche qui se brise sous la botte, du vent qui trahit votre présence. Être rusé comme le renard. Eh bien ! Régner – ce qui vous arrivera plus souvent que de chasser – exige les mêmes qualités.
    Louis XIII voudrait expliquer à son fils que régner est un combat où, sous la courtisanerie hypocrite, se cache la trahison, plus féroce que celle du chien Sévère. Régner, c’est cerner l’essence des