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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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accuser ces gens immoraux et coupables de la rue de la Couture-Sainte-Catherine dont bientôt il se chargerait.

    Delaforge grattait son bras d’ébène. La nuit, il ne trouvait pas le sommeil. Le 8 novembre approchait.
    En attendant, il ne fallait rien changer à son rôle, apprendre encore, endormir le maçon Pontgallet qui se réjouissait des progrès continus de celui qu’il se refusait désormais d’appeler l’apprenti, même si second était de trop, à cause du fils ombrageux qui n’acceptait pas l’entichement de son père pour l’employé modèle. Mais à chaque rendez-vous, le bâtisseur mesurait les progrès. À peine sortis d’un entretien au cours duquel il avait ferraillé tel un beau diable pour obtenir les meilleurs tarifs auprès des fournisseurs, Delaforge lui rappelait que la veille il avait négocié mieux, que demain il rencontrait Le Bec, carrier d’Armor, une tête dure de Breton qui fournissait une pierre au grain fin se taillant aisément. Sapristi, convenait Pontgallet, c’était fort vrai. La matière se trouvait en surface au lieu-dit Tu-es-Roc . Il suffisait de se pencher pour recueillir la pierre de renard . Même les femmes, les enfants pouvaient se mettre au travail, et ceux-là coûtaient moins cher. Le prix d’achat s’en ressentait, la marge se portait mieux.
    — Comment y as-tu pensé ? s’étonnait le maître.
    — J’ai vu cette pierre dans votre cour et j’ai simplement questionné votre fils.
    Tout était ainsi. Ce gaillard grand et sec avait le flair du vieux loup, et alors qu’ils rentraient de concert, le maçon s’étonnait du pas assuré, de l’air nouveau qu’affichait son jeune compère depuis qu’il avait reçu en cadeau le chef-d’œuvre d’André Charles Boulle. Il avait changé, se montrait attentif, vif dans ses jugements (prononcés quand ils se trouvaient seuls), habité d’une maturité d’homme qu’il fallait malheureusement comparer à l’infantilité de Jean. En somme, Pontgallet cherchait des raisons pour freiner son admiration et n’en trouvait pas.
    À l’évidence, la recrue possédait un don pour le négoce et s’y plaisait. Donc il convenait de l’encourager en lui confiant la responsabilité de quelques tractations guère difficiles. Une expérience, en quelque sorte, une de plus. Il y songeait, se rétractait l’heure suivante, hésitait encore. Les traits d’un caractère soupe au lait ressurgissaient. Une promotion si rapide pour un jeune qui n’avait jamais tenu un pic, levé, taillé une pierre, n’était-ce pas s’emballer, prendre des risques ? Tantôt, il s’accusait de légèreté et d’impatience, tantôt d’être trop réservé.
    Allons, se convainquait-il, si Delaforge avait perdu son bras dans un accident de chantier, ces questions ne se poseraient pas. Et qui le savait ? Lui-même ignorait d’où lui venait cette malheureuse aventure. Seuls devaient être pris en compte son sens des affaires, sa droiture, son honnêteté. Et se souvenir qu’il était orphelin, plus dépouillé que l’ancien fils d’un pauvre laboureur du Perche qui avait promis après l’incendie de lui venir en aide. C’est dire si le maçon brûlait les étapes.

    Le mardi 5 novembre 1658, Toussaint demanda poliment un soir de liberté pour le vendredi suivant. On était à table. Le chef de famille fronça les sourcils, Anne pâlit. Sa mère se figea, cuillère en main.
    — Je souhaite me rendre au couvent des Annonciades célestes.
    La nouvelle rassura, mais étonna.
    — Pour y suivre l’office.
    Cette fois, elle stupéfia. Delaforge ne prêtait guère d’intérêt aux choses de l’Église.
    — C’est ainsi chaque année, mentit-il. Je le fais en souvenir de ma mère, Marie, morte ce jour-là.
    On le crut, s’interdisant d’en demander plus de peur d’éveiller de douloureux souvenirs, et Anne soupira. Non seulement, Toussaint ne courait pas les tavernes, mais il se révélait fidèle à son passé. Un bon fils ferait un bon père, se dit-elle en se levant pour débarrasser la table, le cœur pincé, et plus émue qu’elle ne le devait. Jean ne montra rien. Sa mère ressentit un surplus d’affection pour l’apprenti, se demandant même, et très injustement, si les siens la regretteraient aussi sincèrement. Pontgallet songea à ce jour où il était rentré chez lui pour fleurir la tombe de sa propre mère et se dit qu’il existait des ressemblances entre leurs vies. Si le portrait de l’orphelin demeurait

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