Un jour, je serai Roi
des miracles de faire feu de tous bois. Le Vau, Le Nôtre, Le Brun, ce trio de magiciens, met en scène, habille Versailles. Grâce à leur adresse, le relais de chasse de Louis XIII deviendra, pour le temps que dureront les réjouissances, un écrin envoûtant, merveilleux. C’est une question d’habillage, un théâtre pastoral, un jeu en trompe l’œil. Il s’agit aussi d’une expérimentation, d’un essai grandeur nature de ce que pourrait devenir Versailles. Chaque arbre planté pour l’occasion, chaque pierre dressée, chaque ornementation des allées préfigure ce qui sera ou ne sera pas figé. Pour l’éternité ? Versailles n’a pas cette vocation. Ce qui plaît, on le gardera, le reste disparaîtra. Colbert devra dépenser sans compter.
Dans le parc, on s’active, braille, ordonne. La future Allée royale, qui part du château et s’étire vers ce qui deviendra plus tard le bassin d’Apollon, constituera le cœur de la réception. Maçons, charpentiers, peintres de Paris sont venus en masse pour dresser l’immense scène. On cloue, on scie, découpe, cartonne des parures éphémères, on fixe des tableaux représentant l’automne sur lesquels les peintres de l’atelier de Le Brun, pinceaux en main, mettent une dernière touche de carmin et d’indigo, tandis que les jardiniers de Le Nôtre achèvent l’installation d’arches de verdure satinée aux teintes bucoliques. Ceux de Le Vau, des centaines de Le Faillon, besognent et suent pour les plaisirs prochains du roi et de sa Cour.
Delaforge s’interroge. Est-il possible que tout soit fin prêt au jour dit, à l’heure près, dans quelques semaines ? Dans ce cercle où il n’entre pas et qui entoure Louis le Grand, l’inquiétude se sent, et on voudrait que la visite s’achève pour se précipiter sur le chantier. Mais Sa Majesté désire se rendre dans ses jardins, là où se monte la scène de L ’ Impromptu de Versailles . Son équipage se met en branle et redescend l’escalier de la Ménagerie.
— Nous irons maintenant inspecter les jets d’eau.
Le Faillon est loin, mais il a vu que le roi approche. Ma Doué ! C’est qu’il vient, marchant seul devant, Le Vau un pas derrière, prêt à bondir au moindre frémissement de Son Altesse et, loin derrière, le reste de la troupe, regroupée en peloton, prenant soin de se figer si le roi fait de même. Ce beau monde fort bien costumé emprunte les allées couvertes de paille pour qu’aucun ne se crotte. Ils sont habillés de capes bleues, jaunes, jades (à croire que Le Brun les habille), portent un chapeau agrémenté de plumes aux couleurs identiques. Dans ce cortège bigarré, personne n’apparaît vraiment. Pourtant, il y a un rien d’imperceptiblement différent dans l’allure du César qui dirige le mouvement. Ce dernier se distingue par sa façon de se déplacer. Il marche, songe Le Faillon, comme ce danseur aperçu dans une rue de Paris lorsqu’il arrivait de Bretagne. L’ancien bûcheron croyait que les pieds de l’artiste ne touchaient pas le sol. Louis XIV use de la même grâce.
Aïe ! Voilà qu’il s’arrête. Aussitôt, sa suite se donne des airs de statues. C’est ça qu’il faudrait, se dit Le Faillon en se massant les mains endurcies de corne. Des statues pour agrémenter les allées des jardins… Le roi y songe aussi, mais pour l’heure, il s’intéresse à l’un des premiers bassins de Versailles, celui de la Sirène, situé sur le côté nord. Alors qu’il approchait, un jardinier a lancé le signal, un autre actionné le mouvement. L’eau s’élève, retombe en une myriade de gouttelettes. L’effet est saisissant, mais le roi en veut plus. Au plus haut de l’ascension, quand la colonne d’eau suspend son vol et s’accroche encore à l’air avant de redescendre en cascade telle la chevelure de la séduction moitié femme, moitié poisson qui donnera son nom au bassin, chaque bulle ondoyante et cristalline doit accrocher les rayons du soleil qui percent enfin la chape nébuleuse. Pour que les choses conviennent, le roi décide d’actionner lui-même le robinet, augmentant la pression et la baissant l’instant suivant jusqu’à trouver l’exacte hauteur où viendra se nicher l’esquisse fragile d’un arc-en-ciel.
— Vos souliers, Sire…
Jérôme Blouin s’est précipité. Pour un peu, il s’agenouillerait pour protéger son roi. Mais ce dernier n’a que faire de la mare dans laquelle il patauge.
— Il faudra éclairer ce
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