Un jour, je serai Roi
apprécie la scène qui lui rappelle ses nuits aux arènes de Lutèce. Fichtre ! Quel chemin parcouru par le lutteur, se dit-il en secret. Afin d’apaiser les chiens, on leur jette de la barbaque. Les femelles approchent, rôdent, grognent pour prendre leur part du butin. Les petits dans leurs pattes jappent, sautillent pour mordiller leurs tétons. Louis XIV se désintéresse. De quoi parlait-il ? D’animaux d’Asie.
— Que l’on songe également aux orangers de ces pays.
Blouin acquiesce.
Le monarque se tourne vers son architecte :
— Il faut de quoi remplir la belle Orangerie que vous m’avez construite, monsieur Le Vau.
Maintenant, il en vient à son projet nouveau, sa folie, la grotte de Thétis qui ornementera le château au nord. Il désire que les murs comportent des saillies afin d’y insérer des galets, des coquillages, des pierres bariolées. Il veut honorer la nymphe marine.
— Le fontainier Francine m’a promis d’inventer quelque chose qui ne s’est jamais vu.
L’architecte est au courant. Il y travaille aussi. Delaforge tend l’oreille à défaut de pouvoir rentrer dans le cercle qui sépare l’initié du vulgum pecus . Une barrière invisible exigée par l’étiquette. Tout un monde. Il sait que ce projet commandé par la surintendance, dirigée encore pour quelque temps par Antoine de Rabaton 3 , tourmente son mentor. Entouré d’une armée de dessinateurs qui tracent, interprètent ses visions, l’architecte cherche comment étonner, réjouir, stupéfier, simplement satisfaire son plus illustre client. Mais Dieu ! Il faut qu’il se batte avec ce maudit Rabaton, toujours près de ses sous, ne regardant que les chiffres ! L’affaire est claire. Le roi exprime ses désirs, le surintendant enregistre, se tourne vers Le Vau et lui passe sa commande : « Faites-en sorte que les plans conviennent, mais soyez économe. » Voilà ce que les mathématiciens appellent la quadrature du cercle. Plaire au roi sans dépenser… Il faudrait être magicien. Ah ! Combien le créateur hait la ribambelle de petits comptables penchés sur les comptes, biffant, raturant, ôtant et refusant d’ajouter ! Chaque trait, chaque esquisse, chaque perspective, ces avares les passent au tamis, suspectent l’architecte d’avoir la main lourde, les soumettent à l’avis des maçons, des charpentiers, des peintres, des couvreurs, des marbriers, des menuisiers, des vitriers. Combien ? « Faites mieux ! », glapit Rabaton, rabat-joie . Mais pour la grotte de Thétis, Le Vau ne se laissera pas faire. Il fendra la carapace austère du petit caissier. Si nécessaire, il passera outre en convainquant le roi. Il a de bonnes raisons. Dernièrement, Francine, le fontainier d’origine italienne, lui a livré son idée. Ce génie songe à une machinerie hydraulique farfelue qui activerait des orgues. Le Vau travaille sur des jeux d’eau comme s’y emploient les artistes d’Italie et qui compléteraient l’invention de Francine. Éblouir Sa Majesté n’est pas une sinécure.
L’entretien dure. Maintenant, le tourment du monarque concerne le château. Malgré l’ajout des deux ailes, la bâtisse manque d’ampleur. Le Vau n’y voit pas une critique, même s’il est l’auteur des appendices. Il a compris le projet secret de Louis XIV. Il sait que Versailles n’est pas assez royal pour lui, pas assez édifié pour les fêtes qu’il veut y produire et qui seront plus grandioses encore que les merveilleux spectacles de l’an passé au Carrousel du Louvre. Le roi est jeune, il a vingt-cinq ans, l’impatience le pousse à agir. Il veut, on applique.
Dans quelques jours, à Versailles, Louis XIV recevra. On croit à un caprice, ce n’est que le commencement d’un plan mûrement réfléchi qui a pris forme en juillet 1658, quand il reposait dans son lit, presque mort, sauvé autant par l’antimoine du docteur Vallon que par l’affection de Marie Mancini, et qui, depuis, s’est renforcé à chacune de ses visites. Maintenant, il se sent prêt. C’est à Versailles qu’il affrontera son royaume et le subjuguera. Si les fêtes de l’automne 1663 ne sont que des mises en bouche, elles doivent être parfaites. Au menu, il est prévu banquets, soupers, concerts, ballets, promenades pastorales pour ces dames, chasses pour les seigneurs. Quoi encore ? Molière présentera L ’ Impromptu de Versailles . Louis XIV a également demandé aux génies qui ont tant œuvré à Vaux-le-Vicomte et y ont accompli
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