Un jour, je serai Roi
note…
Soudain, son regard vif se plante dans celui du manchot :
— Tant d’efforts justifiés par la seule élévation d’une Orangerie et d’une Ménagerie ?
Le Vau marque un silence avant d’ajouter :
— Si élégantes que soient ces réalisations, celui qui y pense comprend que cela ne tient pas…
— Sans réduire votre talent, ce ne sont que des divertissements destinées à égayer le roi et sa Cour quand ils se trouvent à Versailles, ces lieux ne seront jamais rien de plus, rétorque Toussaint.
— L’énergie dépensée par les centaines d’hommes que nous entendons gémir au loin, ainsi que le génie de Le Nôtre, Le Brun, et de votre serviteur, ne serviraient, selon vous, qu’à la tenue de fêtes auxquelles on se rendrait pour ne pas déplaire ?
— Ce que le roi veut…
— Votre réponse est un peu courte, jeune homme.
— Eh bien ! Expliquez-moi puisque je suis un âne bâté.
— Votre humeur se brouille. C’est inutile. Écoutez plutôt ceci : ces fêtes ont pour dessein de rendre incontournable Versailles, d’en faire l’endroit à la mode, là où ceux qui comptent se croisent. Or, pour attirer, il faut séduire.
— Bien ! Je suis conquis par Versailles, raille Delaforge. Est-ce pour autant que je vais déserter Paris et vivre à la campagne, à quatre lieues de tout ce qui vit et bouge ?
— Le roi pense heureusement plus loin que vous…
— Vous recommencez à me traiter d’idiot !
— Non, très cher. Je sais des choses… Du moins, je les devine.
— Fort bien. Faites-en profiter un simple d’esprit…
Le Vau ne relève pas. Il préfère s’abandonner à ses pensées, réfléchir encore en scrutant le château construit par Louis XIII.
— Oui, je suis certain d’avoir raison, murmure-t-il.
Il bondit dans le carrosse et en revient muni d’une plume et de papier. Il trace, dessine et parle en même temps.
— Les fêtes de Versailles ne sont qu’une étape. Une manière de nous habituer aux lieux. Et de donner du temps à Le Nôtre pour qu’il conçoive les plus beaux jardins de la création. Quand le moment sera venu, quand tout sera prêt, Versailles deviendra l’épicentre du monde, et tous devront s’y plier. Mais deux ailes et un vieux château en brique ne suffiront pas. Il manque encore ce que je dois imaginer et construire : un palais digne du plus grand des rois.
— Faire fi de Paris, du Louvre et même de Saint-Germain-en-Laye ? Tout miser sur Versailles ? Le pari est risqué. Moi, je n’y crois pas. Comment être certain que Louis XIV a fait ce choix ?
Le Vau lève sa plume. Il a reproduit exactement le château de Louis XIII.
— Le roi me l’a dit. Pas aussi nettement, se reprend-il. Mais au cours de ce bref entretien sur la terrasse…
L’architecte hoche la tête et reprend son travail.
— Il s’interrogeait, continue-t-il. Comment concilier le passé et ne pas étouffer demain ? Oui, comment honorer la mémoire du père et bâtir le château qui ressemblera à son fils, Louis le Grand ?
Il s’interrompt encore.
— Voilà les deux raisons qui freinent son programme. Il faut des jardins, et cela prend du temps. Mais il veut également respecter le passé.
Il a fini son esquisse, la montre à Delaforge :
— Et j’ai trouvé comment marier hier et demain.
On ne reconnaît plus Versailles. Hélas, Le Vau glisse le papier dans sa poche sans que le seul témoin ait eu le temps de voir l’invention.
— Prochainement, vous saluerez mon génie… Et tous les deux, nous en profiterons grassement. Montons ! Vous avez si hâte de rejoindre votre Paris.
Sur le chemin du retour, l’architecte ne cesse de revenir sur ce sujet : Versailles. Pas un instant, il ne doute de l’ambition de Louis XIV qui, martèle-t-il, y engloutira des millions et des millions de livres.
— Ce château n’est que la proue d’un immense navire. Il réclamera des milliers d’hommes et nous manquons de place. Donc où les loger ? Celui qui misera touchera gros. Être immensément riche : seriez-vous opposé à un tel programme ? Attendez ! Ce n’est pas tout. Pensez à la nourriture, aux plaisirs… Ajoutez ce que la noblesse construira pour se rapprocher du roi. Faites le calcul, Delaforge. Voici qu’est en train de naître le plus grand chantier du siècle !
— Encore faudrait-il que la Cour fût séduite, lance son voisin qui préfère le concret et songe à la construction du fameux collège des Quatre-Nations.
— La fête qui
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