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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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une demeure si étriquée, même si deux ailes viennent récemment d’être construites ? Tant qu’il y a de l’ouvrage, soupire-t-il. Aussi, court-il d’un lieu à un autre, sans direction précise, car le programme change tout le temps. Le roi n’est jamais décidé. Ce matin, Le Faillon a rejoint une armée de besogneux qui recouvrent de pavés la place d’Armes. Hier, volte-face ! il agrandissait une cour. Demain, il paraît qu’il ira creuser une tranchée dans laquelle – Dieu seul sait quand – on installera des tuyaux et des pompes afin d’alimenter un des futurs bassins.
    Pourtant, grogne-t-il, l’eau est partout. Foi de Breton, la terre est lourde, le pied colle à la glaise ; ça lui rappelle les marais fangeux de son enfance. De l’eau, il faudrait plutôt en retirer en drainant le sol, et voilà qu’on lui parle d’installer un réseau de canalisations reliées à des aqueducs dans lesquels se jettera le lit des rivières voisines. Gast 1 ! Il connaît son affaire, Le Faillon. Trop d’eau, ça pourrit, ça tue les bêtes et les hommes, ça infecte les corps. Sans compter qu’une fois enterrée, la tuyauterie s’encrasse, la nature reprend ses droits. Dans un an, prédit-il, ce chambardement sera encombré de racines qui perceront et écraseront le plomb, le fer, le cuivre, n’importe quelle matière – et aussi facilement que le coupe-jarret plante sa lame dans le ventre mou d’un innocent. C’est l’une des bizarreries de Versailles. La terre vomit l’eau, pourtant elle manque. Et ce n’est pas dans les tuyaux bourrés de feuilles boueuses et mortes qu’elle passera. Heureusement, les jardiniers du dénommé Le Nôtre sont rusés. Ils ont trouvé un moyen pour nettoyer les conduits. Ils attrapent un ragondin et accrochent à sa queue une raclette en ferraille. Après, ils mettent la bestiole dans le tuyau, et vas-y qu’elle fonce en avant pour trouver la sortie ! Parfois, elle crève. C’est bouché pour de bon. Alors, Le Faillon creuse. Mais tant qu’il est payé ! Il n’empêche, c’est mené à la va-vite, dans l’urgence, parce que Louis XIV l’exige.
    Du reste, ça bougonne dans les troupes. Faire et défaire décourage les esprits. À croire que Colbert et sa clique ne savent pas compter. Ils dépensent des mille et des cents et sont contents d’eux, mais quand le vrai maître arrive, ah ! les mines changent. Le roi descend du carrosse, regarde. Et c’est parti. Ce mur-ci est trop haut, cet arbre-là ne l’est pas assez, les dorures du toit sont « mal dorées », et Le Faillon sait qu’à l’intérieur, ce sera pis. Cet été, ils ont tous eu la paix, Louis XIV ne s’est guère montré. Il était en Lorraine, parti pour tenter d’agrandir son royaume. Depuis son retour, Sa Majesté et ses gens ne décollent pas. Fichue engueulade ! Le Faillon remercie le Tout-Puissant de ne pas être peintre. Il paraît que le roi est resté la matinée à regarder la main tremblante du pauvre abruti qui tentait de finir la décoration d’un cabinet. Après, Sa Seigneurie a assisté aux essais de tenture et même à la pose d’un tableau. Un peu à droite, plus à gauche. Allez, on recommence ! Voilà que ce monarque a voulu tenir conseil dans son cabinet alors qu’on y collait le parquet, manière de vérifier de visu que c’était bien ce qu’il désirait. Un menuisier a rapporté à Le Faillon que Colbert était obligé de hurler pour se faire entendre. Le roi ? Il n’a pas bronché. En se levant, il a dit à son conseiller : « Un carreau est cassé. Je serai seulement satisfait quand il sera enfin remplacé. » Le Faillon a entendu Bergeron annoncer que Colbert engloutirait un million de livres dans les travaux, rien que cette année. Le patron peut se frotter les mains. Il paraîtrait aussi que le bourg sera rasé et qu’on y construira de beaux hôtels pour la noblesse. On raconte que Versailles s’appellera bientôt Villeneuve-Saint-Louis et Le Faillon trouve que ce nom a de l’allure 2 . Le château sera lui-même peut-être détruit et remplacé par un autre, plus grand et plus majestueux. Mais alors, pourquoi construire deux ailes et une avant-cour si tout va bientôt disparaître ? Que faut-il faire pour satisfaire le roi ? Personne ne le sait, puisqu’il ne raconte pas où il se dirige. Seul compte que ce soit fait dans le moment où il dit . Fichtre, ce roi n’est pas facile…

    — Rentre, tu vas attraper la mort !
    À une lieue du chantier,

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