Un jour, je serai Roi
aucun des trois. Rien ne lui allait mieux que son regretté Nicolas.
Alors, elle reste aimable, laisse planer le doute, qu’aussitôt les trois convertissent en espoir. Elle s’amuse ainsi, pas méchamment, mais, ce dimanche, son regard se tourne vers la place, au bout de la nappe, restée vide pour honorer la mémoire de Nicolas Pontgallet, son mari devant l’Éternel.
— Bonjour, Marguerite…
Fichtre ! Le craintif Pierre Maldonnier s’est lancé à l’assaut. Il est habillé de neuf, rasé de près, s’avance portant dans chaque main quatre pintes de vin dont il tente de se débarrasser en cherchant un coin libre sur la nappe.
— Pierre, donne-moi ça !
Bergeron vient à son secours.
— Assieds-toi.
Maldonnier hésite. Il aimerait tant que cette femme aux yeux verts lui en fasse la demande.
— Pas là, grommelle Bergeron. Mets-toi à côté de Marguerite.
— Aucune fleur, aujourd’hui, monsieur Maldonnier ? taquine-t-elle le pauvre homme qui rougit.
— Maman, soupire sa fille Anne, installée en face.
— Allons, venez ici, Pierre. Et posez ce vin si vous voulez manger, ordonne Marguerite de la voix chaude et chantante qui le trouble tant.
— Merci, merci, balbutie-t-il en ne regardant qu’Anne tant il est impressionné.
La fille de Marguerite a changé. Depuis qu’elle est maman, sa silhouette s’est affinée, ses seins se sont gonflés et se montrent sans fausse pudeur dans le creux d’un corsage orné de dentelle. Elle a de l’assurance, sourit à nouveau. Elle s’est débarrassée de la fragilité de l’oisillon. Son allure, ses gestes n’ont plus rien de la jeune gourde d’autrefois. Ce changement s’explique sans doute par la présence de Léon, son mari, un homme solide et qui se montre bon père. Sans nul besoin de le lui demander, il se lève pour aller voir ce que fait Amandine, partie jouer avec les autres enfants à « un, deux, trois, soleil ! ». On le voit revenir à pas lents, attentif à la fillette qu’il tient tendrement dans ses bras, désireux de l’entendre raconter ses aventures d’une voix hésitante, à l’aide de quelques mots qu’il complète par les siens pour venir à son secours. Ce Limousin est calme, droit, franc du collier, on le devine tout de suite. La gamine vient d’apercevoir sa maman et tend les bras vers elle. Aussitôt, Léon rend la liberté au trésor blond qui court se nicher contre la poitrine d’Anne et réclame son câlin, pouce dans la bouche. L’enfant est grande pour trois ans à peine et belle par-dessus tout. On cherche la ressemblance avec ses parents. Amandine a hérité de la couleur de cheveux d’Anne, mais les siens se rebellent. Une mèche bouclée descendant sur un grand front souligne son regard gris-bleu si séduisant et si différent de celui marron de son père. De quoi a-t-elle donc hérité ? Sa bouche boudeuse et gourmande n’a rien de commun avec les siens. Sans doute que ce trait charmant lui vient comme à tous les petits gâtés. Maintenant Amandine se lasse. Sans hésiter, elle trottine sur la nappe posée sur le sol et personne ne lui en fait le reproche. Elle est l’enfant roi. Mais de qui ? Son père est brun et carré, elle, fine comme une liane. Par chance, elle n’a pas non plus son nez, épais et rond et, côté caractère, celui de Léon se devine sans malice, comme celui de son épouse. La fillette n’a que trois ans, dit-on, mais, naturellement, elle joue de son charme, car l’animal est tout sauf sot. Marguerite regarde ce trio, vestige de son ancien bonheur. Le visage de son fils Jean se superpose à celui de Nicolas et il lui faut du courage pour retenir ses larmes.
Son gendre a vu son malaise et la regarde comme s’il devinait ses pensées. Elle lui envoie son pareil en souriant, si bien qu’Anne découvre leur complicité et rien ne lui ferait plus plaisir. Elle se tourne vers son mari, se penche sur son épaule. Il l’enlace aussitôt, protecteur et doux. En voyant cela, Amandine se jette dans les bras de ses parents et les embrasse tous deux. C’est un bon père, un bon mari, pense Marguerite. Il les rend heureuses. Elle le sait depuis qu’ils ont débarqué à Paris, attendant patiemment qu’Amandine ait presque quatre ans car l’enfant est plus âgée d’un an qu’on le croit. Et à l’exception des Le Faillon, ces Bretons hébergés une nuit chez Marguerite peu après la mort de son mari et de son fils, personne ne sait qu’Anne était enceinte avant son
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