Un jour, je serai Roi
qu’on y entasserait peut-être dix, vingt familles.
— Arrêtez-vous, Bourdine. Attendez-moi, je reviens.
Au moins, il ne partira pas les mains vides et puisqu’il faut apaiser Le Vau, il rentre dans le bouge, prêt à tordre le cou au crève-la-faim qui l’occupe s’il dit quoi que ce soit. Il offrira cent livres, pas plus, décide-t-il alors que se dessine dans la pénombre un boiteux aux jambes tordues. C’est immédiat : il songe à un fantôme et lui vient l’idée de fuir. Trop tard. L’autre le regarde, étirant sa gueule de côté.
1 - Aujourd’hui, place des Vosges.
2 - Expression cynique pour désigner, à l’époque, le poison.
3 - Josias de Soulas, dit Floridor, gentilhomme et brillant acteur de l’époque.
4 - Roger de Rabutin, comte de Bussy, était le cousin de Marie de Rabutin, baronne de Sévigné, la fameuse marquise de Sévigné, moraliste à la plume dure et connue pour ses descriptions moqueuses de la Cour. L’esprit caustique de Bussy de Rabutin n’était pas en reste. Chassé de Paris après l’éclat de l’orgie de Roissy, il s’aventura à écrire de brillantes descriptions de la vie de Cour qui déplurent au roi. Exilé en son château, il écrivit l’ Histoire amoureuse des Gaulles où il était question des galanteries royales. Ce qui n’arrangea pas son cas.
5 - Ce tableau se trouve dans la salle à manger du château de Villarceaux.
6 - Le procédé s’employait surtout pour les pêches.
Chapitre 34
L E SOLEIL COGNE , mais Fanette, la pouliche du père Colin, tire à tout va la carriole où s’entassent six passagers. À bord, règne le bonheur. On chahute, se bouscule, on est si pressé d’arriver…
— Oh, Fanette !
La bête redresse les oreilles et Colin n’a nul besoin de se servir du fouet pour qu’elle avance gaillardement. Elle connaît sa route et traverse sans hésiter le pont en bois du Mont-Louis qui longe le domaine du comte de La Chaise 1 . La pente devient raide, Colin claque simplement de la bouche. Aussitôt, Fanette s’élance dans les lacets tortueux de Montmartre. Elle trotte sur le chemin caillouteux, laissant à droite les vignes du Clos Berthaud , la propriété des abbesses. Dans la courbe suivante, devant La Sauvageonne , réputée pour son vin, l’alezane aux crins rougeâtres double l’attelage où s’entasse la famille du tailleur de pierre Paulon. L’attaque a surpris le conducteur qui tente désespérément de réveiller son gros percheron.
— Hue ! dia !
Les deux attelages s’y mettent. Aucun ne cède, mais la bataille est perdue. Fanette a pris trop d’avance. Le courage et la hargne l’emportent sur la puissance. À l’entrée de la Goutte d’Or , le domaine viticole où tous se rendent, le clan du père Colin peut crier victoire.
— Je t’aurai au retour ! lance Paulon en éclatant de rire.
— Alors, prends garde à ce que tu bois si tu veux rouler droit ! rétorque Colin.
Le tailleur de pierre se frotte la panse.
— Ne t’inquiète pas de ça. Le réservoir est grand…
Une centaine de convives est déjà sur place. On voit Villedo, Mazière, Bergeron, Le Maistre, Hanicle, d’Orbay, Gabriel… Bientôt, les dynasties des maîtres-bâtisseurs du roi seront au complet. Cinq cents présents, en comptant les épouses et les enfants. Voici le grand banquet annuel de la profession, la fête organisée traditionnellement au mois de septembre. Ce rituel est l’occasion de se retrouver. On le fait un dimanche, généralement à la campagne. L’idée de Montmartre vient de Bergeron et il a eu le nez creux. C’est un temps idéal, une fin d’été caressante et douce pour un beau rendez-vous. Si près et si loin de la foule parisienne, cela semble incroyable. Montmartre est à l’abri du monde, protégé par des remparts de vignes qui ont colonisé les lieux ; une montagne gardée par ses moulins – de solides soldats dont les ailes fendent le ciel. On mangera sur l’herbe, entre deux rangs de ceps où les femmes ont déplié de grandes nappes blanches. Chacune y va de son panier, empli de charcutailles, de poulets rôtis, de miches de pain dorées au four. Pour le vin, on se servira sur place. Quatre tonneaux d’une quarte 2 sont posés sur de solides tréteaux. Déjà, les pintes 3 circulent d’une main à l’autre. On se tend les pichets comme les témoins d’un relais, on y goûte au passage – seulement, jure-t-on, pour vérifier que la cuvée de l’année a de la cuisse et du
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