Un jour, je serai Roi
matériaux, tient les comptes et distribue la paye. C’est l’homme de confiance.
Bergeron va-t-il encore se moquer ?
— Cela ne m’étonne pas, décide-t-il. Tu me fais une bonne impression, Léon. Bienvenue chez nous…
Le maître-maçon en ayant fini avec l’interrogatoire, il éprouve le besoin de bouger. Il se lève en se massant le dos. À cinquante ans, il y a longtemps qu’il ne taille, ni ne scie plus la pierre. Mais l’époque lointaine où il était simple compagnon a laissé des traces.
— Marguerite, j’ai des fourmis dans les jambes. Ça te dirait de marcher un peu ?
Elle n’espérait qu’un mot pour se débarrasser de Maldonnier. Les voici donc, partant d’un pas tranquille, au milieu des vignes. Le soleil est sur Paris, éclairant le tableau jusqu’à la Seine. Les couples vont ici et là, et s’aventurent entre les rangs gorgés de grappes de raisin, parfois ils s’allongent, disparaissent. Cette journée est belle…
— Ta fille est bien tombée, débute Antoine.
Marguerite partage cet avis.
— Léon me semble beaucoup mieux que l’apprenti engagé par Nicolas. Je crois bien que ce bougre de Delaforge tournait autour d’Anne.
La veuve ferme les yeux de peur qu’ils la trahissent.
— Tu sais qu’il manigance pour Le Vau ?
— Je ne veux rien savoir de lui, cingle-t-elle.
Le maçon s’incline.
— Je te remercie encore, reprend Marguerite d’une voix apaisée. Sans toi et ce que tu me donnes comme travail, je serais perdue…
— Non, non ! C’est toi qu’il faut féliciter. Écoute, tout ce que je te confie est parfait.
— Ce n’est pas compliqué ! Faire des trous et raser des bosses. Je ne suis pas dupe. Je crois que tu me favorises…
— Détrompe-toi.
— Eh bien ! Si je te suis utile, soutiendras-tu mon projet ?
Marguerite parle de s’installer à Versailles et Bergeron le sait. L’idée a-t-elle du bon ? Elle vendrait sa maison et repartirait à zéro. Jusqu’à présent, le maçon se méfiait. Mais il y a Léon et Anne.
— Je ne veux plus rester rue de la Mortellerie.
Antoine la comprend. Tant de souvenirs atroces y gisent dans le silence.
— Léon est décidé à m’aider, continue-t-elle. Si l’entreprise se développe, il fera venir des collègues limousins.
Marguerite a l’air si heureuse. Comment faire fructifier ce petit rien de bonheur qui la rend si belle ?
— Si tu te décides, tu pourras compter sur moi, acquiesce Bergeron.
— C’est vrai ? lance-t-elle joyeusement.
Un instant, il revoit Marguerite au temps où Nicolas vivait.
— À Versailles, j’ai une équipe. Tu te souviens de Le Faillon, l’ancien bûcheron ?
Comment pourrait-elle l’oublier ?
— Le Vau et Colbert en demandent de plus en plus, continue le maçon. Avec les fêtes qui se préparent, on a besoin de bras. Crois-moi, vous aurez du travail tout de suite.
— Je ne suis pas si pressée, mais j’y penserai. Merci, Antoine.
— Non, non, écoute-moi, insiste-t-il en se rapprochant.
Bergeron porte fièrement la moustache et son visage viril, taillé à la serpe, trouble Marguerite.
— C’est le bon moment pour vous installer. Avant que tout le monde ne se précipite. Et je te répète que je pourrais faire beaucoup pour toi, murmure-t-il.
Marguerite connaît cet air de maquignon.
— Allons, s’échappe-t-elle. Ce n’est pas un jour à parler affaires, comme tu disais. Retournons voir les autres…
1 - Le domaine de la famille La Chaise (ou La Chaize) se situait à l’emplacement du cimetière parisien du Père-Lachaise. Le comte avait un frère, François d’Aix de La Chaise, confesseur de Louis XIV. Le domaine fut notamment agrandi par les donations auxquelles procéda le roi.
2 - Environ soixante-dix litres.
3 - Environ un litre.
4 - Peu employé au XVII e siècle. Il existe toutefois quelques sœurs Amandus ou Amandine.
5 - Le piqueur est également celui qui « pique » les ouvriers absents.
Chapitre 35
M I-OCTOBRE, ON GRELOTTE à Versailles. Le château est humide, le confort rustique, les chambres des invités sombres et poussiéreuses. Qui oserait se plaindre ? Le roi accueille la Cour, la reçoit, et, ce soir, Molière et sa troupe interprètent L’Impromptu de Versailles . À vrai dire, le spectacle surprend. On répète encore alors que le rideau se lève, et ce n’est pas fini. Dès la première scène, on comprend que rien ne va. Les comédiens ne connaissent pas leur texte, le désordre règne. Jouera-t-on la
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