Un jour, je serai Roi
inspiré d’ Orlando Furioso du poète l’Arioste. Versailles deviendra le palais d’Alcine, Louis XIV, le chevalier Roger. Ce seront huit journées grandioses au cours desquelles quatre cents hôtes, peut-être six cents, danseront, mangeront, écouteront Lully, riront des bons mots de Molière, s’extasieront en voyant Louis XIV lancer la javeline sur des (fausses) têtes de Turc et de Maure. Il y aura des tournois chevaleresques, un défilé d’étranges animaux venus d’Afrique. Un théâtre en plein air a été construit dans les jardins, des dizaines de musiciens – trompettes et timbaliers – conduiront le chevalier Oger le Danois et sa suite vers les invités, avant que le char d’Apollon ne se montre, entraînant les Quatre Siècles d’Or, d’Argent, d’Airain, de Fer. Après une course de bague 4 , et à la nuit tombée le cortège des Quatre Saisons, éclairé par des centaines de flambeaux, annoncera une somptueuse collation, portée sur la tête de dizaines de pages et de vendangeurs.
Et ce n’est qu’un début. Les Plaisirs de l’Isle enchantée veulent séduire la Cour et éblouir la future duchesse de La Vallière, toujours favorite. Le lendemain, on verra des ballets et des comédies dans les jardins en fleurs, agrémentés pour l’occasion de kiosques, d’abris et de pavillons de bois. Les allées seront ceintes de toiles, ornées aux armes de Louis XIV. Vigarani se chargera des machines, Lully l’accompagnera en musique, Molière mettra en scène cette ville éphémère et furtive, née en un clin d’œil et appelée à disparaître aussi vite.
Depuis deux mois, les manœuvres par centaines s’attellent à construire ces décors féeriques. Ils viennent des environs, mais aussi de Paris, agissant sous le commandement des maçons et des charpentiers de Sa Majesté. En apprenant ce que le roi désirait, en mesurant l’urgence et l’immensité des tâches à venir, le bâtisseur Bergeron a fini par convaincre Marguerite Pontgallet de s’installer à Versailles. Mais après les fêtes ? Bergeron sourit lorsque Marguerite s’inquiète. S’il suffisait seulement d’entretenir ce qui est, il y aurait déjà trop de travail. Or le roi a décidé de construire la grotte de Thétis sur laquelle s’échinent le fontainier Francine et Le Vau.
Quoi d’autre ? De nombreux bassins viendront ornementer les jardins. Ce n’est pas tout. Sans eau, pas de fontaines. Francine exige un réservoir afin d’activer les pompes. Une tour sera bâtie dans l’urgence. Après ? Bergeron croit savoir que Le Vau travaille, en secret, sur la transformation (ou la destruction ?) du château de Louis XIII. Voilà de quoi fournir du travail à l’entreprise Pontgallet pour une génération.
Et Bergeron baisse la voix avant de parler de la suite. On recruterait des voyers 5 pour toiser et agrandir les chaussées. Un autre indice ? Des gens avertis – hauts placés - lui demandent de plus en plus souvent d’étudier la construction de maisons aux abords du château, dans le vieux bourg et dans ce qui deviendra le quartier Saint-Louis. La raison se devine : si le roi continue de s’enticher de Versailles, la Cour devra s’y rendre constamment. Pourquoi ne pas y bâtir ? D’illustres noms, tels que Guitry, Noailles, Lauzun, envisagent l’installation de leurs propres hôtels. Il est vrai que le confort rustique de Versailles les y incite. À coup sûr, Soissons, Longueville, Bouillon suivront. Ils seront forcés.
Il se murmure aussi que Colbert, nouveau surintendant des Bâtiments du roi, étudie la distribution de brevets de dons de place à bâtir . Que signifie ce jargon ? s’inquiète Marguerite. La fortune, lui répond Bergeron. Du moins pour ceux qui en seront les bénéficiaires car il s’agit de terrains donnés gratis ou presque sur lesquels il sera permis d’édifier. Ce n’est pas tout. Aucune taxe ne sera réclamée à l’occupant et le logement de craie 6 sera supprimé. On se jettera dessus. On viendra à manquer. Forcément, les prix monteront. Bergeron a ses idées, il investira le moment venu. D’ailleurs il n’est pas seul, d’autres ont senti le bon coup, preuve que tous y gagneront.
Tant de bonnes nouvelles ont fini par décider Marguerite. En janvier 1664, elle a visité Versailles une première fois. Un dimanche, ils sont montés tous les quatre, Anne, Léon, Amandine et elle, dans la charrette du père Colin qui a accepté de la leur prêter. Hue ! Fanette. La
Weitere Kostenlose Bücher