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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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rien conçu pour les accueillir. Les premiers s’entassent vaille que vaille chez l’habitant en attendant la livraison de solides et grandes tentes de toile – trois mille livres dépensées en plus – qui feront l’affaire au moins jusqu’à l’été. Mais ceux qu’on attend en renfort, où dormiront-ils ? Aussi, décide-t-elle de rechercher des chambres chez les rares cabaretiers du bourg.
    Celui chez qui elle se présente pourrait porter le nom d’ aubergiste des sans aveu . Il tient un bouge sombre, sale, aux murs couverts de graisse, au sol repoussant de saleté. Les chambres, selon le père Dubec, s’y loueraient dix sols le mois. Ce sera cinq, pas plus, et une paillasse par homme, ou elle tournera les talons. Elle avance, décidée à négocier et demandera à visiter les chambres avant de s’engager. L’établissement semble vide. Tous sont au chantier. Il faut s’habituer à la pénombre pour deviner deux silhouettes, assises à la table la plus retirée. Elle fait un pas, puis deux. Cela suffit pour que les têtes se lèvent. Celle qui lui fait face est tordue ; celle qui se tourne, balafrée.

    Ce jeu de cartes, la Bassetta , bassette en français, fait fureur à Venise et comme nombre de trouvailles venant de la belle république italienne, la mode a investi Paris, divisant du même coup la société en deux mondes irréconciliables d’exaltés et de réfractaires. À propos de la bassette, les opinions sont si tranchées, si sectaires, qu’il serait plus aisé de convertir un dévot au libertinage que d’asseoir à la même table l’ami et l’ennemi de cette curieuse passion qui, selon ses détracteurs, ne mènerait qu’à la ruine. Sans prendre position, car le faire serait un excellent moyen de se fâcher avec la moitié de ses connaissances, il est vrai qu’on cherche ce qui motive les affidés de la bassette. On ne connaît pas de joueur qui se soit enrichi, pas un qui ait sauvé sa mise, mais tous y laissent leur fortune. Du moins, jusqu’à ce jour . Voilà peut-être le secret de l’envoûtement auquel a cédé Paris. Jusqu’à ce jour signifie que l’exploit reste à produire, qu’il est possible, qu’il surgira ce soir, cette nuit ou demain.
    À défaut d’une autre quête plus glorieuse, la bassette est une sorte de Graal pour les désœuvrés du Louvre. « Les autres non, mais moi, je réussirai à battre le banquier », se dit chacun. Car il faut parler de ce personnage, le banquier, qui mène la partie au détriment des pontes, ces joueurs qu’il prend pour proie. Le tragique et le déroutant de l’affaire, c’est que la victime n’ignore pas qu’elle court à sa perte. Hors de la table, le ponte tient même des propos sensés et convient qu’en s’adonnant à sa passion il caresse une chimère. Nul besoin de le sermonner pour le convaincre qu’il commet une bêtise. Mais s’il s’assoit, il oublie tout. La sagesse, les conseils de ses amis, les promesses de la veille, la rente que lui verse annuellement son père. Il joue, mise, perd. À l’inverse, le banquier, qu’on nomme aussi tailleur – comme celui qui taille des croupières –, n’est pas empoisonné, infecté par le vice, débauché. Il calcule, joue, gagne.
    Cet état d’esprit compte bien plus que l’explication des règles assez simples auxquelles il faut venir car une partie se montre chez Toussaint Delaforge, dans son appartement de la place Royale.
    C’est un samedi de mai, le même que celui où Angélique de Saint-Bastien avoue son malheur. La nuit est venue depuis longtemps et tandis que la comtesse rumine dans son lit les paroles de Sapho l’invitant à se venger, la partie de bassette s’achève. Quatre joueurs font face au banquier qui, après six heures de jeu acharné, a empoché quarante mille livres. La prudence serait d’arrêter maintenant, mais une voix intérieure pousse les perdants à continuer. Un dernier tour ? Oui, car tous sont convaincus de gagner enfin. Le banquier a devant lui deux jeux de cartes. Un pour lui seul ; l’autre à partager entre les quatre joueurs. C’est fait. Il a distribué. Treize cartes par tête quand lui en détient cinquante-deux. Pour faire simple, la règle s’apparente à celle de la bataille, carte contre carte, à la nuance près que ce n’est pas la plus forte qui l’emporte. Le duel ne vise que les cartes identiques. Un sept contre un sept, un as contre un as, etc. Mais en cas d’égalité, comment désigner celui qui

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