Un jour, je serai Roi
forêt était couverte de givre et la neige étouffait le trot de la pouliche. Amandine se serrait contre sa grand-mère qui chantonnait P romenons-nous dans les bois … et lui répétait qu’il n’y avait pas de loup. Le Faillon, l’ancien bûcheron qu’elle avait hébergé, les accueillit et fit la visite. Au vieux bourg, peu de choses étaient à voir, et peu de gens aussi. Peut-être trois ou quatre cents, dans ce bout du monde, expliquait Le Faillon. Dans les ruelles sans âme vaquaient des journaliers désœuvrés n’ayant pas profité de l’hiver, période où le chantier ralentit et le château s’assoupit, pour rejoindre les leurs. Nombre entraient dans la catégorie des « sans aveu », ces gens sans domicile, sans papier, parfois hors-la-loi.
Le vieux bourg n’avait rien de commun avec l’agitation familière de Paris et ils se sentaient comme des migrants découvrant un nouveau pays. Mais les jardins et le château plurent à Amandine. Marguerite interrogea Anne du regard qui elle-même sonda Léon. Ce fut décidé. Le goût de l’aventure était fort et ils allaient se serrer les coudes. Versailles serait un bon endroit pour changer de vie, tout reprendre à zéro. Bien sûr, il leur fallait une maison. Le Faillon fit la grimace. Par ici, il n’y en avait guère de libre, mais les voisins, Nathan et Jeanne Dubec, un couple de paysans âgés, expropriés de leur terre par le roi qui demandait à agrandir son parc, occupaient une chaumière bien tenue disposant à l’étage de chambres proprettes qui feraient l’affaire avant de trouver mieux. On s’entendit vite sur un prix d’occupation, d’autant que Jeanne Dubec voyait d’un bon œil l’arrivée du quatuor. Deux femmes de plus, soit quatre bras pour le ménage et la cuisine – sans parler du travail au poulailler –, la soulageraient.
La femme de Le Faillon les reçut ensuite chez elle pour un bon repas. Amandine partit jouer avec Petit-Jean, le fils Le Faillon. Léon les rejoignit dans la cour pour les aider à fabriquer un bonhomme de neige. Le Faillon se mêla au jeu. Les deux hommes s’entendaient. Ils avaient la même gentillesse et des mains cagneuses, synonymes de courage. Anne et l’épouse de Le Faillon ne tardèrent pas à devenir complices, parlant de leurs enfants et de leurs maris qu’elles taquinaient tendrement. Avant de repartir, on visita une grange qui appartenait aux Dubec et qui se trouvait bien placée, sur la route menant au château, près de l’entrée du chantier. Il fallait redresser un ou deux murs, maçonner, changer une poutre et réparer la moitié de la toiture, mais contre une livre par mois, Dubec accepta de la louer. Voilà qui constituerait le dépôt et le siège de l’entreprise Pontgallet. On y emmagasinerait les matériaux, y tiendrait les réunions, y embaucherait les apprentis et les manœuvres.
Le retour se fit à la nuit, au pas, sous un ciel sans nuage. Amandine regardait les étoiles, s’amusait à leur inventer des sobriquets. Bonheur, amour, Versailles, Louis XIV… La plus grosse fut renommée Petit-Jean Le Faillon. Et elle s’endormit dans les bras de Léon, épuisée et heureuse.
Le lundi suivant, Marguerite alla trouver Bergeron, fort surpris que tant de décisions aient été prises si rapidement. Deux heures plus tard, l’affaire était conclue. Les travaux reprendraient en mars. Avec les préparatifs des Plaisirs de l’Isle enchantée et la somme d’ouvrages envisagée par la surintendance, Antoine Bergeron avait de quoi occuper une centaine de saisonniers jusqu’à l’automne et il lui devenait difficile, soutint-il, d’être ici et à Paris. Il fallait voir les choses en grand, anticiper ce qui allait se développer. Comme il l’avait promis, il sous-traiterait le gros œuvre et le terrassement à l’entreprise Pontgallet qui ne pouvait tomber mieux car son contremaître, Gaillard, ne reviendrait pas à Versailles après l’hiver. Le pays lui manquait. Très naturellement, on décida que Léon occuperait ses fonctions. À ce titre, il engagerait les saisonniers, et on devait se presser afin que tout soit d’aplomb en mars. Le maçon accélérait la manœuvre pour obliger Marguerite à sauter le pas, mais ce n’était pas nécessaire puisqu’elle parla d’embaucher de suite Le Faillon afin de remettre en état la grange de Nathan Dubec. La maison Pontgallet, sourit-elle, devait avoir fière allure pour séduire son client principal, Bergeron. Ils se
Weitere Kostenlose Bücher