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Un jour, je serai Roi

Un jour, je serai Roi

Titel: Un jour, je serai Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Riou
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revendiquer la propriété des bons mots qui fusent ? Qui invente quoi ? Tout se dit, circule, progresse, s’enrichit par l’effet de l’esprit qui, stimulé par le trait précédent, l’emprunte, le développe, puis innove, et progresse à chaque nouvelle proposition, provenant, il faut en convenir, le plus souvent des femmes. Aubignac, un homme qui, comme le conçoivent les dames, n’en est pas exactement un, aurait-il eu l’idée de se moquer d’elles, de discuter leur primauté ? Qu’il prenne garde, se méfie de leur pouvoir. Quand il faut séduire, la gent féminine reprend le dessus et impose sa loi – ce que l’abbé, en principe, ne sait pas. Dans l’intimité, le sexe fort est moins arrogant et, pour obtenir sa pitance charnelle, le voici prêt à reconnaître que l’esprit des femmes niche ailleurs que là où il veut tant poser la main. Il le fait pour obtenir gain de cause, ignorant combien les qualités de ces êtres chéris s’épanouissent pleinement lorsque la fougue du rustre ne les brime pas.
    Ce soir, c’est le cas. Les dames seront seules. Elles parleront d’amour et de mariage, sans avoir à subir l’engeance masculine. Conrart, Chapelain, Pellisson 2 ne se mêleront point au débat. Le duc de Montausier se trouve au Louvre, La Rochefoucauld écrit ses Maximes 3 . C’est pourquoi, ce samedi de mai 1664, elles ont hâte de débuter la séance à laquelle se joindra Angélique de Saint-Bastien, l’égérie de la coquinerie. L’amour, l’amour ! Le beau sujet. La vision qu’en a l’audacieuse comtesse s’accorde mal au mariage. La vie de la jeune veuve est un hymne à Éros, une prouesse des sens, un roman consacré à l’art de la jouissance sans que rien ne l’endigue. Aussi, attend-on le point de vue de la chère polissonne sur ce sujet brûlant. L’impatience est grande, l’héroïne se fait rare. Pour une raison que les poétesses ignorent, Angélique ne se montre plus depuis plusieurs mois. Il faut sans doute accuser la passion dont certaines se méfient : la comtesse, en effet, ne vit plus que dans l’ombre de son amant, un certain Delaforge. L’affection, n’est-ce pas mieux que l’ardeur ? chuchotent celles qui prétendent que le mariage a du bon.
    Sapho décide de ne pas se hâter tant que l’avis d’une femme sans entraves depuis le décès fortuit de son vieux mari ne sera pas recueilli. Les échanges s’annoncent excitants. Angélique entrera dans un instant et rayonnera, habillée de soie chatoyante, certaine de son charme, souriant dès qu’on l’interroge, avant même de tourner la tête vers celle qui réclame son conseil, répondant sans détour, et refusant la tasse de chocolat qu’un valet lui tendra, au prétexte que l’amour se nourrit d’eau fraîche – et nécessite une taille de guêpe. Alors, sans la moindre gêne, elle racontera en prose la poésie de son corps, cette véritable Carte de l’Amour .
    Hélas ! Angélique vient enfin de paraître et son beau visage s’est comme étiolé. La rebelle semble vaincue. Sa peau est moins nacrée, son front se plisse, sa bouche accueille l’amertume. Angélique va mal. Elle s’assoit, on l’entoure, elle soupire. Deux larmes glissent sur ses joues, hier, colorées. Peu de temps après, ses amies comprennent que le mal dont elle souffre n’est autre que celui qui la rendit heureuse. Le doux esclavage de Toussaint Delaforge, son amant, est devenu une prison. Voudrait-elle s’en défaire qu’elle ne le pourrait. L’attachement irrationnel, voici où le bât blesse. Pendant quatre ans, ils se sont vus chaque jour, chaque nuit, et rien ne venait éteindre le feu qui brûlait et consumait sa jeunesse. Tout chez elle était à lui, et, convient-elle, il y avait quelque chose d’insensé dans sa relation. Serait-elle possédée ? L’aventure libertine exige du recul, et Angélique avoue qu’elle n’en a pas, vaincue par l’ignoble sentiment de la jalousie – le pire effet de sa captivité. Toussaint se détache, prétend-elle. Plus il s’y emploie, plus elle devient folle. Ce changement cruel et radical remonte aux fêtes de Versailles, soit à l’automne dernier. Quel détestable moment ! C’est à peine si elle l’a vu. Ce soir-là, il a comme disparu, s’entichant d’un garçon peu déniaisé, le fils cadet du marquis de La Place.
    Ce n’est pas tout. Il ne l’a rejointe que fort tard dans la nuit – rendez-vous compte ! – alors qu’ils logeaient à Versailles. Il

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