Un jour, je serai Roi
fonde, hélas ! sur l’expérience…
— Et que vous dit-elle encore ?
— Ce que je peux sauver, je m’y emploierai. S’il faut détruire, je le ferai.
Détruire . S’agit-il de l’église ou du collège ? s’interroge l’enfant. Il joint les mains, les serre. Sainte Marie, écroulez ces lieux et je partirai.
Qui possède le pouvoir d’abattre des murs, de commander à Baltius, de s’en prendre à la maison de Dieu ? Qui est l’inconnu ?
Apparemment, il bâtit et détruit à sa guise et son métier porte un nom : maçon. Comment cet homme s’appelle-t-il ? Il ne s’en souvient plus. Mais un ange vient au secours de l’enfant : Pontgallet. Baltius l’a répété, y ajoutant le titre de maître. C’est donc qu’il est respecté et puissant. Plus encore que Dieu Lui-même ? Pour s’en convaincre, il suffit à Toussaint d’écouter la suite. Le maçon sera payé. Des centaines de livres. La somme lui semble considérable.
Ainsi, un maçon est riche et libre d’agir, sourit le garçon dans le noir, et sa fortune vient du fait qu’il démolit et s’en prend à autrui. Qui l’affirme ? Un prêtre, un de ces jésuites respectueux de Dieu, et qui pourtant encourage quelqu’un à faire le Mal – car détruire, n’est-ce pas ce qu’on lui a toujours interdit ? Mais alors que Toussaint s’imagine portant lui-même le premier coup de pique dans les pierres de Montcler, engloutissant Ravort et sa clique sous un tombereau de gravats, une main se pose sur la porte de l’armoire où il se cache.
Et la referme. À double tour. Il est prisonnier.
Les pas s’éloignent, les voix faiblissent. Toussaint est seul, dans le noir. Désormais, il a faim. Il a froid. Il s’en moque. Il se sent protégé, à l’abri, à l’écart du danger que représentent les collégiens. Qu’importe les souffrances qu’il endurera peut-être cette nuit. Il veut vivre parce qu’il a trouvé une raison de s’y employer : exister pour détruire. Pour se venger de ce qu’il a enduré.
1 - Tite-Live. Les Livres depuis la fondation de Rome , livre I. Né à Padoue, en 59 avant J.-C., Tite-Live est l’auteur d’une monumentale histoire de Rome.
Chapitre 9
U N …
Le bourreau assure sa prise en serrant le manche en bois d’un martinet, un fouet comptant six lanières. Il soupèse l’instrument, le tourne dans la main pour doser sa force et trouver l’angle d’attaque. Chose faite, il frappe méthodiquement.
— Deux…
Un murmure répond au son mat du cuir martyrisant le dos de la victime.
— Trois…
C’est le chœur des pensionnaires, massés dans la cour du collège de Montcler. Ils font cercle. Ils y sont obligés.
— Quatre…
La chair du puni rougit.
— Cinq…
Toussaint Delaforge, torse nu, ne bronche pas.
— Six…
Les petits ferment les yeux. Qui sera le prochain ? L’un d’eux vomit sur ses pieds.
— Sept…
Ravort, le tyran du dortoir, sourit. Pourtant, ce n’est pas lui qui organise la correction.
— Huit…
Le préfet de discipline s’applique. Ses coups sont réguliers. Le poignet se lève lentement, le bras se détend, s’abat. Le geste est sûr. La main ne fatigue pas.
— Neuf…
Le jésuite n’y met ni haine, ni passion, ni férocité. Il frappe. C’est la punition.
— Dix…
Ravort en voudrait encore, mais Calmés se fige.
— Rhabillez-vous, ordonne froidement le dépositaire de l’obéissance.
Toussaint s’exécute sans rien montrer de sa douleur.
Dix coups. Voici comment débute le châtiment de Delaforge.
— Que tous mesurent le sens et la portée de notre sanction.
Le préfet de discipline s’exprime sans émotion, et sa méthode est calculée pour effrayer. Il ne cède aucunement à la mansuétude. La loi est la loi. Calmés ne juge pas. Il applique la règle avec calme et lucidité. Il ne peut y avoir d’exception, d’atténuation, compte tenu de la gravité des faits : à l’heure des vêpres, un élève vêtu en enfant de chœur est entré dans la sacristie. Il a ouvert l’armoire afin d’en sortir un calice. En découvrant ce visage balafré dressé dans le noir, il a poussé un cri, l’objet sacré est tombé de l’étagère. Le prêtre, qui se trouvait aussi dans la sacristie, a d’abord giflé le maladroit qui pleurnichait. Mais une ombre a surgi du placard, celle du diable cherchant à fuir. Le prêtre a saisi sa manche, a cogné alors que cette boule de nerfs se débattait et poussait de furieux grognements d’animal. La
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