Un jour, je serai Roi
réciter tous ses mots encrés sur le papier d’une plume légère, raconter ses aventures en détail, même celles dont elle ne se souvient pas. Sa robe, par exemple, de soie rose comme la fleur qu’il n’a jamais lâchée, elle en parlait dans sa dernière lettre, ajoutait qu’elle la porterait lors du sacre du roi qui, croyait-elle, serait une journée de liberté, même à Montcler. Était-ce sa façon de l’inviter ? Sûrement. Mais celui qui est venu est si différent du gamin de sa prime enfance. Est-ce le même ou un autre ? Pour effacer le doute qui la gagne, il faut que la magie revienne. Toussaint doit agir. Les moments tendres, complices, qu’elle a idéalisés sont en train de s’envoler, de disparaître, car l’esprit humain est conçu de telle sorte qu’il ne retient du passé que le bien et le bon. Et l’instant présent ne ressemble pas au monde qu’elle a cherché à préserver.
Toussaint devrait-il lui expliquer qu’il a, lui, composé avec l’éloignement, fabriqué, imaginé ce que la prison de Montcler lui interdisait de voir ? Chaque nuit, il a caressé secrètement le visage de la jeune fille qu’il s’est inventée, posé les mains sur ce corps, brûlant d’un désir qui, depuis peu, salit sa paillasse et l’aurait condamné si le jésuite, au petit matin, avait découvert qu’elle était maculée du péché inspiré par Satan. Pourtant, celle qu’il contemple aujourd’hui est plus belle que la plus voluptueuse de ses chimères. Oui, tout a changé aussi pour lui, mais en mieux. Sont-ce les mots qu’attend Aurore ?
Toussaint serait déçu s’il perçait ses pensées car, à l’inverse, elle souhaite seulement retrouver les souvenirs qu’elle connut et pour lesquels sa tendresse est sans limites. Ses yeux gris qu’elle aimait, quels sentiments lui renvoient-ils aujourd’hui ? Une froideur, une dureté presque douloureuse. Dedans, ne perce ni quiétude ni repos. Dessous, au plus profond, quelle âme s’y abrite ?
— Sans toi, sans tes lettres… répète-t-il misérablement.
Il hésite. Sa gorge se noue. Son visage se tend. Désormais, les yeux sont plus gris que l’océan en tempête. Ceux d’Aurore sont restés d’azur.
— Oui, Toussaint ? l’encourage celle-ci d’un air soudain grave.
— Je me serais tué, lâche-t-il, imaginant combien il serait bon d’entrer au paradis en compagnie d’Aurore.
Cette pensée est de trop. N’y tenant plus, il s’approche d’elle. Aussitôt, elle recule :
— Le père Marolles est avec mon père, mais il va arriver. Et ajoute pour qu’il comprenne que la décence les oblige à garder leurs distances : il me faut un chaperon.
Dans le lit de Montcler, c’était simple. Ils se retrouvaient, et le charme agissait. Comment s’y prendre ?
— Mon père ne peut se séparer de ce prêtre ! reprend-elle pour meubler un silence qui n’en finit plus et devient inconfortable.
De grâce, se dit Aurore en comprenant tristement qu’elle ressent une gêne, ce n’est pas à une jeune fille de trouver un sujet de conversation. Il lui revient la visite récente de l’aîné du comte de Langes. Un oisif qui regorge d’humour, se montre tellement à son aise. Que dirait-il ? Puisqu’elle ne voit aucun thème à partager avec le pensionnaire de Montcler – ni la mode ni la Cour –, elle préfère distraire l’embarras en s’intéressant au cas de ce jésuite, confesseur des La Place et parrain de Toussaint. N’est-il pas une sorte de point commun ?
— Je ne comprends pas ce que mon très cher père trouve à cet homme sinistre, débute-t-elle, imitant le ton et les manières du fils du comte de Langes quand celui-ci tourne ses victimes en ridicule.
Toussaint se tend. Aurore ne l’a pas vu. Se prenant à son jeu, elle cherche le trait qui piquera l’ecclésiastique et la fera sourire :
— Faut-il se confesser chaque jour ? À croire que le marquis de La Place a beaucoup à se faire pardonner…
Aurore se mord les lèvres. En voulant singer l’ironie des gens d’esprit, elle s’aventure trop loin. On ne se moque pas d’un père. Elle sonde son vis-à-vis. À son air furieux, lui non plus ne semble pas apprécier.
— Quel parrain est-il ? tente-t-elle pour faire oublier sa raillerie.
— Je le connais peu, lui répond brutalement Toussaint.
— Cela ne retire rien à sa bonté… s’entête la fille du marquis de La Place. Il t’a sauvé…
— Sauvé ? répète-t-il d’une voix glaciale.
— Ta
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