Un jour, je serai Roi
car elle voulait, elle aussi, vous épargner la douleur de vous apprendre que vous étiez l’infect rejeton d’une fille de joie. Oui, vous n’avez pas de père. Plutôt, vous n’en manquez pas. Pensez à ceux qui ont pris leur plaisir avec votre mère ! Voilà le malheur dont Berthe, en se taisant, souhaitait vous protéger.
Aurore s’approche de Toussaint dont le visage est celui d’un mort.
— J’ignorais tout… Je te le promets.
Il ramasse son couteau, le glisse dans sa poche.
— Depuis quand étiez-vous au courant ? demande-t-il, la voix blanche, au jeune capitaine.
— Qu’importe ! Je sais, répond-il à regret, sans se montrer plus précis. Et cela suffit ! N’approchez plus jamais de la fille du marquis de La Place.
Tel un ballet parfaitement orchestré, Marolles choisit ce moment pour entrer. Il voit la scène, la main ensanglantée de son filleul. Son regard va de Toussaint au fils du marquis.
— Il sait tout, affirme ce dernier, y compris pour son père.
D’un coup de tête, François de Voigny montre la blessure :
— Vous aviez raison. Un enragé… Faites-le sortir.
Le jésuite prend un air malheureux. Il se dirige vers Toussaint qui, lui, cherche Aurore du regard, elle qui ne répond pas, prisonnière de ce frère violent et intraitable. Il le saisit par le bras, le guide vers la porte conduisant à la cour d’honneur. Son filleul ne réagit pas, bouleversé par la nouvelle, et refusant de l’accepter, même si, en se raisonnant, les méthodes de son parrain pourraient s’expliquer. Certes, celui-ci a menti, mais ses intentions étaient louables : il voulait préserver son protégé. En cachant l’existence de Marie, il lui épargnait la honte et le chagrin d’une mère, fille publique. Et d’un père crocheteur violent et aviné ? Ou bagnard en cavale, mercenaire aux mains rougies par le sang de ses victimes ? Ou tout cela à la fois ?
La porte se referme. Ils piétinent le gravier de la cour. Toussaint s’efforce d’oublier qu’Aurore, immobile et muette, n’a rien entrepris pour le retenir. Mais pouvait-elle s’opposer à son frère, à l’aîné, au soldat ? Le garçon rassemble ses idées, cherche où le bât blesse. Que lui a appris Berthe ? Marie travaillait chez le marquis, et l’honnêteté lui ordonne de revoir les moments où lui-même habitait dans cette demeure. Marolles était en charge des bonnes œuvres de la famille. Comment, de fait, oublier les indigents venant supplier le jésuite de leur venir en aide ? L’un d’eux ne fut-il pas engagé comme jardinier ? Donc, la bonté aurait pu profiter à une autre. À Marie ? Sans doute.
— Il est temps de retourner à Montcler.
Le jésuite use d’un ton mesuré. Le retour sera pesant. Il y aura peu de mots et il s’y est préparé. Tout compte fait, les choses s’arrangent grâce au rôle tenu par François. Il connaît la fougue du jeune homme, devine que Toussaint ne fut pas épargné, d’autant que ces deux-là ne se sont jamais entendus. Au temps de l’enfance, ils se détestaient et l’affection d’Aurore n’a fait qu’accroître une sorte de jalousie troublante, possessive. En apprenant que le collégien se trouvait ici, le soldat devint furieux. Il arpenta l’hôtel, sonda les valets jusqu’à dénicher Berthe qui ne put cacher pourquoi elle sanglotait. François jaillit alors chez son père, accusant l’intrus d’agir en soudard, de se comporter en maître, et exigeant son renvoi immédiat. Le marquis était d’accord, ce qui ajouta à l’embarras d’un Marolles tentant de justifier cette présence en évoquant une sorte de pèlerinage . Son filleul avait souhaité se rendre sur les lieux de ses primes années afin de retrouver son passé. Le jeune capitaine y vit plutôt un honteux procédé pour se rapprocher de sa sœur, et les façons employées avec Berthe montraient qu’il s’agissait d’un mufle. Aussi, demanda-t-il à son père le droit de le chasser sur-le-champ, manu militari . Le jésuite sauta sur l’occasion pour donner une leçon à un filleul trop curieux. Il confirma, à mi-mot, les assertions de François. Le matin, Toussaint avait fait montre d’exagération et, pour tout dire, s’était emporté violemment tant son désir d’apprendre tournait en tyrannie. Marolles avait toutefois laissé entendre qu’un tel vœu pouvait se comprendre :
— Qui ne veut pas savoir d’où il vient ?
— Qu’on le lui dise ! rugit le fils aîné du marquis.
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