Un jour, je serai Roi
mon pari, car je ne jouerai pas. Voyons, un juge honnête se l’interdit. En revanche, tu me nommes dans trois mois négociateur pour tous les conflits qui viendraient au sud de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.
— D’accord, cède Beltavolo en se disant qu’il y pensera plus tard… Mais seulement si je l’emporte.
Il marque un temps avant d’ajouter :
— Et ce sera le cas, si nous nous servons de mes cartes.
Beltavolo est allé trop loin. Ravort ne peut reculer à moins de risquer sa vie. Pourtant il vient de secouer la tête : — Il n’en est pas question !
Le ténor de la Contrescarpe se lève, décidé à ne faire qu’une bouchée de l’avorton et saisit la lame affûtée que lui tend Mezzalira.
— Doucement, l’ami, murmure l’agressé.
Il soupire. Dieu ! Combien négocier l’amuse…
— Tu crois ton adversaire assez stupide pour t’affronter avec tes propres cartes ? À l’instant où je les lui montrerai, il se doutera qu’on cherche à le gruger. Tu y perdras la vie, et moi aussi…
— As-tu une autre idée ? s’agace Beltavolo qui doit admettre que ce maudit infirme n’a pas tort.
— Vous jouerez avec mes cartes et je distribuerai. Crois-moi, le hasard ne se mêlera pas à la partie, et elle te sera favorable.
— Prouve-le !
Ravort prend le jeu, le bat :
— Coupe. Non, pas toi. Celui qui a une pièce dans la main.
Mezzalira s’exécute.
— Quatre rois, ça te dit ?
Sans attendre la réponse, Ravort distribue deux fois six cartes.
— Retourne les tiennes.
Quatre rois, en effet, se montrent.
— Les deux as te sont fournis gratis . Sommes-nous d’accord ?
Beltavolo acquiesce en silence.
— Désormais, je suis ton négociateur pour les conflits du sud.
Beltavolo baisse la tête pour la seconde fois. Ravort grimace afin de cacher son plaisir. Mordiou ! Il n’y a pas meilleur que lui quand il faut traiter. Maintenant que décide-t-il à propos de Delaforge ? Est-ce le moment de se venger puisque son plan fonctionne ? Alors, il se redresse pour ce qui ressemble à une mise à mort : — Voilà ce que tu dois savoir sur ton ennemi : sous ce masque, se cache Toussaint Delaforge. Il perdra et il sera furieux, je te le jure. Il peut imaginer qu’il y a eu tricherie. Ce n’est pas grave. S’il attaque, n’oublie pas que ce combattant est blessé.
— Mais pourquoi vient-il, s’il est affaibli ? murmure Beltavolo.
— Eva del Esperanza.
— Que dis-tu ? balbutie son amant.
— Delaforge cherche à te la prendre. S’il te bat, son prix sera la femme. Il pense que tu refuseras et que tu tenteras de le tuer, mais c’est lui qui le fera après avoir provoqué le combat qu’il est venu chercher. Et il pourrait y arriver, même diminué, si tu ne t’y attendais pas. Oui, si tu ne te méfiais pas, la belle Eva serait libre, et il la veut. Ah, l’amour ! s’amuse Ravort en caressant sa jambe déboîtée. Grâce à Dieu, j’en suis préservé. Toi, te voilà prévenu. Fais en sorte qu’on veille sur tes os, lance-t-il en jetant un œil sur Mezzalira.
— Ce n’est qu’un sale porc ! tonne Beltavolo.
— Moi, je le trouve plutôt malin, le torture Ravort. Il t’élimine en ne faisant que répondre à ton attaque. Tous les présents en seront témoins. Tu auras accepté la partie et joué. Mauvais perdant, tu auras voulu le tuer. Qui te défendra ? Qui te pleurera ? Voilà un beau stratagème pour prendre ta place et s’installer naturellement dans ton lit ! Maintenant, montre qui est toujours le chef, et n’oublie pas ce que tu m’as promis.
Ravort se lève et clopine vers la sortie du Rat gris .
— Un moment, fait claquer Beltavolo.
Traîne la patte s’immobilise, mais son équilibre reste fragile. Il fait tant pitié qu’on lui donnerait une pièce.
— Quoi encore ?
— Pourquoi trahis-tu Delaforge ?
— J’ai mes raisons, répond sèchement le Tordu , et j’y gagne plus que toi si tu respectes ta parole.
— Je n’en ai qu’une.
— Très bien. Prépare-toi. Delaforge sera là dans un moment.
À côté de Beltavolo, Mezzalira a lancé sa pièce. Elle tourne et retombe en se décidant pour pile. Le lutteur des arènes mourra, promet-elle. Mais sera-ce assez pour libérer son maître de la malédiction qui plane sur la belle Eva del Esperanza, celle dont tous les amants périssent ? Il devrait peut-être sonder le futur en interrogeant une nouvelle fois sa pièce ? Mais il renonce, de peur d’y lire la réponse qu’il
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