Un jour, je serai Roi
Ravort n’aime pas la façon dont tout cela s’engage.
— Je sais des choses sur toi, ajoute Beltavolo. On dit par exemple que tu es rusé dès qu’il s’agit d’argent. Et ton esprit se montrerait souple lorsque tes intérêts sont en jeu. D’ailleurs, tu viens de le reconnaître. Ce qui compte, ce sont eux.
La manœuvre est lente. Beltavolo ne se découvre pas encore. Il tâtonne, tourne autour du pot, mais Ravort respire. Il a compris vers quoi on se dirige.
— Eh quoi ! glisse le maître de la Contrescarpe en clignant de l’œil, quelle est ton idée à propos du gagnant ? Car tu es juge, mais on pariera pour toi, hein ! Et sur qui ?
Maintenant nous entrons dans le vif du sujet, songe Ravort.
— Tu me demandes sur qui je jouerais si je pouvais le faire ?
— En quelque sorte…
Traîne la patte bouge sur sa chaise.
— Toi, qu’en penses-tu ? répond-il prudemment.
— Je suis certain de l’emporter, mais le fléau de la balance est parfois capricieux…
— Ce maudit hasard, renchérit Ravort. Surtout en matière de jeu. Oui, il serait bon de gagner sans prendre de risques. Mais comment ?
L’infirme est tel que le décrivait l’Irlandais : on peut l’acheter. Voilà qui se présente bien, pense Beltavolo.
— Moi aussi, ose-t-il plus fermement, je préfère quand les choses sont convenues d’avance. N’as-tu jamais rêvé de posséder le don de prévoir ce qui va se produire ?
— Qui ne voudrait pas ? soupire Traîne la patte à la manière du jésuite.
— Domestiquer la chance, l’emporter à coup sûr ?
— C’est hélas impossible !
— Tout dépend, continue son vis-à-vis, moins rusé. C’est ainsi qu’en prenant certains accommodements…
— Voilà qui devient reprochable – ou fort risqué –, coupe l’ancien élève de Montcler. Aussi, m’en tiendrai-je à ma méthode.
Il fixe Beltavolo :
— Si je misais, je m’engagerais sur ton visiteur.
Le chef de la Contrescarpe serre les poings :
— Pourquoi ?
— Je connais ses talents. Il gagne toujours. Tu comprendras en le voyant. Il ne devrait pas tarder. Pardonne-moi, mais, sur un point, tu as raison : en ne laissant faire que le hasard, tu n’as aucune chance de l’emporter.
La méthode, l’assurance désarçonnent celui que l’on a appelé le capitan Matamore. C’est voulu. Et ce n’est pas fini : — Crois-moi, j’en parle pour te servir. Tu joues gros. Bien plus qu’une simple partie de cartes.
— Par tous les saints ! braille l’autre, te voilà chez moi, assis à ma table et tu es en train de me dire qu’un homme vient ici, assuré de triompher ! Serais-tu devin ? Non ! Alors, impossible de le jurer.
La colère défigure son visage :
— À moins qu’il ait l’intention de tricher. Et dans ce cas…
— Je ne pense pas, répond calmement Traîne la patte .
— Alors, dis-moi d’où te vient cette certitude.
— Il est fort, répète-t-on, peut-être plus que toi. Mais une autre raison explique sa volonté farouche de te battre.
— Laquelle ? bondit Beltavolo.
— Répondre pourrait me nuire, mais te servirait grandement, ruse Ravort. C’est à toi de décider : tu m’aides à parler ou tu laisses faire l’inconnu. Et dans ce cas, adieu à la victoire…
Le Tordu fait mine de se lever dans un mouvement d’une lenteur parfaitement étudiée.
— Attends ! Qu’a-t-il de plus que moi ?
Ravort se tait.
— Je suis prêt à te récompenser, cède Beltavolo.
— Mes intérêts, mes intérêts… Tu traites ce sujet légèrement. Ça me rapporterait quoi, si je me confiais ?
— Je couvre ta mise… Dix fois !
— Voilà qui est bien. Je vais y réfléchir. Mais avant…
Ravort se caresse le menton. Le sang fourmille sous sa peau et il connaît ce signe avant-coureur. La fin est proche.
— Comment s’y prendre pour te faire triompher certainement ?
— Donne-moi les cartes avec lesquelles nous devrions jouer, s’impatiente Beltavolo. Et tu vas comprendre.
C’est fait. L’adversaire est dans la nasse. Il trichera. Ravort a connu des tractations plus âpres. Lentement, il plonge la main dans sa veste.
— Des cartes neuves, grince-t-il. Elles n’ont jamais servi. En principe, personne n’y touche avant le début de la partie, et moi seul les distribue.
— On appliquera mes méthodes. Donne ! grogne Beltavolo en tentant d’arracher le jeu des mains de Ravort.
— Tout doux… Il faut d’abord que nous finalisions notre accord. Je ne veux pas que tu décuples
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