Un jour, je serai Roi
pétri d’intentions louables. Il en sort maintenant et s’échappera peut-être. Avec ou sans Eva. Pour cela, il doit se battre contre Beltavolo, et ce sera le point final. Mais faut-il encore tuer ? Le maître de la Contrescarpe est un homme rusé. C’est pourquoi il est le chef. Qui est Eva pour lui ? Un jouet, une simple passade, ou la sultane de ses plaisirs ? Selon la réponse, un accord sera ou non trouvé.
L’enjeu, Eva, est en effet assorti d’une somme considérable. Mille livres accumulées après cent victoires. Eva a dit à Toussaint que son autre amant ne tenait pas à elle, qu’il préférait l’argent. Elle ment pour apaiser la jalousie du plus jeune, car elle aime cette vie, ces plaisirs brûlants, et, quand elle revient à Beltavolo, elle s’offre, rêvant que les lèvres de Toussaint se posent sur elle. Ainsi, les deux la croient à eux seuls. L’un pour être trahi, l’autre trompé. « Que veux-tu de plus ? », dit-elle au lutteur des arènes, espérant l’apaiser. « Je suis à toi. Viens, et tu verras comment. » Puis, sans un mot, il se rhabille, hanté par celle qui jouit de lui et de Beltavolo. Afin que tout cesse, ces mensonges, ces tueries et ce masque de proscrit qui étouffe son existence, il est prêt à mettre le prix. Mille livres pour celui qui idolâtrerait l’argent plus que le corps d’Eva. S’il refuse, ce serait donc par orgueil ? Alors, ils s’affronteront.
Oui, il en finira cette nuit, et s’il manque de motifs pour se décider, il se souvient de Passe-Muraille , déboulant aux arènes. Je ne te lâcherai plus , disait-il. Est-ce pour faire condamner celui qui se terre depuis quatre ans ? Demain, l’arrêtera-t-il ? En effet, dans peu de temps, anticipe Toussaint, tout s’achèvera ou commencera, et s’il se confie au destin, c’est aussi en sachant qu’il repose beaucoup sur Ravort, missionné, payé pour attiser la curiosité de Beltavolo. Cent livres afin de satisfaire la voracité d’un être capable du pire ? Et pourtant Delaforge n’est pas fou. Ce soir, il s’en prendra à Beltavolo, mais il réglera aussi ses comptes avec Ravort dont il est prisonnier et auquel il est redevable depuis que ce Traîne la patte l’a découvert aux arènes. Et si le boiteux l’a trahi, il en aura moins de gêne au moment où il lui plantera son couteau dans le ventre.
L’homme masqué l’a juré. Il tourne la page. Il livre le dernier combat de sa vie, et peut-être le fait-il davantage pour se libérer que pour ravir la captive de Beltavolo.
Avant que le diable ne replace Ravort sur sa route, Toussaint Delaforge vivait en solitaire, partagé entre les tortures de son âme et les blessures de l’arène. Il se battait. Gagnait. S’effaçait. Souvent pour ne pas montrer que son sang coulait. On le croyait invincible, il recevait des coups, et la rage qu’il mettait à lutter n’avait rien de faux. C’était celle d’un guerrier hanté par la mort, celle qu’il donnait ; celle qu’il ne craignait pas. Avant lui, aucun n’avait tenu si longtemps, aucun montré autant d’ambition, et on aurait été surpris d’apprendre qu’il résistait aussi à cause d’un visage qui ne le lâchait pas quand il tendait le bras pour tuer. À chaque fois, il se battait contre le même homme, murmurant son nom lorsqu’il perçait le malheureux du jour. Il exterminait dans l’espoir que ce personnage meure pour de bon, qu’il disparaisse, cesse de le hanter. Mais François de Voigny, fils du marquis de La Place et figure symbolique de ce clan, revenait dès qu’il rentrait dans la pièce louée à Raymond de la Montagne, à la fois minuscule et trop grande pour lui et ce fantôme, et ce qu’il vivait. Il retrouvait une paillasse jaunie, une chaise, un broc toujours rempli d’eau afin de se soigner et un clou planté dans le mur auquel il accrochait le masque de cuir, déguisement imaginé par le patron du Chapeau rouge .
— Ton visage, soutenait Raymond de la Montagne, ne doit jamais montrer ce que tu as décidé. Tu serres la mâchoire et, en face, on sait que tu vas frapper.
Il y avait également l’idée de rester anonyme. Delaforge n’oubliait pas qu’on l’avait sans doute accusé du meurtre de Ravort, incapable d’imaginer que l’on puisse survivre à une telle chute. Avant de refaire surface, et de percer le mystère de sa naissance, il fallait, se persuadait-il, que de l’eau coule sous les ponts. Marolles devait avoir été informé par le
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