Un long chemin vers la liberte
mais, à contrecœur, il m ’ a montré un document officiel. Oui, j ’ étais Nelson Mandela, lui ai-je dit. Il m ’ a informé que son chef voulait me voir. Je lui ai répondu que s ’ il voulait me voir, il savait où me trouver. Alors, il m ’ a donné l ’ ordre de l ’ accompagner au commissariat. Je lui ai demandé si j ’ étais en état d ’ arrestation et il m ’ a répondu que je ne l ’ étais pas.
« Alors, dans ce cas, je n ’ irai pas. » Il est resté interloqué par mon refus, mais il savait que j ’ étais inattaquable sur le plan légal. Il m ’ a posé toute une série de questions : quand avais-je quitté Johannesburg, où étais-je allé, avec qui avais-je parlé, avais-je une autorisation pour entrer au Transkei et combien de temps devais-je rester ? Je lui ai dit qu ’ au Transkei j ’ étais chez moi et que je n ’ avais pas besoin d ’ autorisation pour y entrer. Le sergent a quitté ma chambre d ’ un pas lourd.
Les chefs étaient déconcertés par mon comportement et ils m ’ ont reproché ma brutalité. Je leur ai expliqué que je l ’ avais simplement traité comme il m ’ avait traité lui-même. Je ne les ai pas convaincus et ils pensaient manifestement que j ’ étais un jeune homme exalté, capable de s ’ attirer des ennuis, et c ’ étaient ces hommes que j ’ essayais de persuader de rejeter les Autorités bantoues ; apparemment, je n ’ avais pas fait une très bonne impression. L ’ incident me fit prendre conscience que l ’ homme qui revenait chez lui était différent de celui qui en était parti treize ans plus tôt.
Au Transkei, la police n ’ était pas très évoluée et, quand j ’ eus quitté la pension de famille, on me suivit partout où j ’ allais. Dès que j ’ avais parlé à quelqu ’ un, des policiers allaient le trouver pour lui dire : « Si vous parlez encore avec Mandela, nous viendrons vous arrêter. »
J ’ ai rencontré un responsable de l ’ ANC et j ’ ai été consterné d ’ apprendre que l ’ organisation n ’ avait plus d ’ argent, mais à ce moment-là, je pensais moins à l ’ ANC qu ’ à ma prochaine étape : Qunu, le village où j ’ avais grandi et où habitait toujours ma mère.
J ’ ai réveillé ma mère qui, tout d ’ abord, eut l ’ air de voir un fantôme. Mais elle était folle de joie. J ’ avais apporté de quoi manger – des fruits, de la viande, du sucre, du sel et un poulet – et ma mère a allumé le feu pour préparer du thé. Nous ne nous sommes pas serrés dans les bras ni embrassés ; ce n ’ était pas notre coutume. Si j ’ étais très heureux d ’ être de retour, je me sentais coupable de voir ma mère vivre seule dans une si grande pauvreté. J ’ ai essayé de la persuader de venir vivre avec nous à Johannesburg mais elle m ’ a juré qu ’ elle ne quitterait jamais le pays qu ’ elle aimait. Je me demandais – une nouvelle fois – s ’ il était ou non justifié de négliger le bien-être de sa famille afin de lutter pour le bien-être des autres. Peut-il y avoir quelque chose de plus important que de veiller sur sa mère âgée ? La politique n ’ est-elle qu ’ un prétexte pour se dérober à ses responsabilités, une excuse pour notre incapacité à pourvoir aux besoins de quelqu ’ un comme on le voudrait ? Après avoir passé une heure ou deux avec ma mère, je suis allé à Mqhekezweni. Il faisait nuit quand je suis arrivé et, dans mon enthousiasme, j ’ ai klaxonné. Je n ’ avais pas imaginé comment ce bruit allait être interprété et les gens sont sortis effrayés de leurs huttes en pensant qu ’ il s ’ agissait de la police. Quand ils m ’ ont reconnu, beaucoup de villageois ont manifesté leur joie et leur surprise. Mais au lieu de dormir comme un enfant dans mon ancien lit, je n ’ ai cessé de me tourner et de me retourner en me demandant si j ’ avais ou non pris le bon chemin. Mais je ne doutais pas de mon choix. Je ne veux pas laisser entendre que la lutte de libération est d ’ un ordre moral plus élevé que de prendre soin de sa famille. Elle ne l ’ est pas ; ce sont simplement des choses différentes.
De retour à Qunu le lendemain matin, j ’ ai passé la journée à évoquer le passé avec des gens, et à marcher dans les champs autour du village. J ’ ai aussi bavardé avec Mabel, la plus pratique et la plus douce de mes sœurs, que j ’ aimais beaucoup. Elle était
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