Un long chemin vers la liberte
marchait depuis plusieurs jours en direction de Port Elizabeth. J ’ ai relevé un certain nombre de contradictions dans son histoire, et je lui ai demandé la marque de sa voiture. Une Buick, m ’ a-t-il répondu. Et l ’ immatriculation ? Il m ’ a indiqué un numéro. Quelques minutes plus tard, je lui ai redemandé l ’ immatriculation. Il m ’ a donné un numéro un peu différent. Je l ’ ai soupçonné d ’ être un policier et j ’ ai décidé de dire le moins de choses possible.
Mon compagnon n ’ a rien remarqué car il a parlé jusqu ’ à Port Elizabeth. Il m ’ a montré diverses curiosités et il semblait assez bien connaître l ’ histoire de la région. A aucun moment il ne m ’ a demandé qui j ’ étais, et je ne le lui ai pas dit. Mais il était amusant et j ’ ai trouvé sa conversation utile et intéressante.
Je me suis arrêté à East London pour parler à des gens de l ’ ANC dans le township. Avant de repartir j ’ ai eu une conversation avec d ’ autres personnes dont l ’ une m ’ a semblé être un policier clandestin. Mon compagnon de voyage avait appris mon identité et, quand nous sommes remontés en voiture, il m ’ a dit : « Tu sais, Mandela, je crois qu ’ un des types était un policier. » Cela a augmenté mes soupçons et je lui ai dit à mon tour : « Ecoute, comment est-ce que je peux être sûr que tu n ’ en es pas un toi-même ? Il faut que tu me dises qui tu es, sinon je te laisse sur le bord de la route. »
Il a protesté et m ’ a répondu : « Je vais te dire qui je suis vraiment. » Il m ’ a avoué qu ’ il faisait de la contrebande et qu ’ il transportait du dagga (marijuana) depuis la côte du Pondoland quand il avait rencontré un barrage de police. Dès qu ’ il l ’ avait vu, il avait sauté de voiture et avait essayé de se sauver. La police avait tiré et l ’ avait blessé à la jambe. Cela expliquait sa claudication et le fait qu ’ il n ’ eût plus de voiture. Il m ’ avait fait signe parce qu ’ il supposait que la police le recherchait.
Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi un moyen aussi dangereux pour gagner sa vie. A l ’ origine, il voulait être instituteur, m ’ a-t-il raconté, mais ses parents étaient trop pauvres pour qu ’ il fasse des études. Après l ’ école, il avait travaillé en usine mais le salaire était trop faible pour en vivre. Il avait commencé à trouver un complément dans le trafic du dagga, et bientôt c ’ était devenu tellement rentable qu ’ il avait quitté l ’ usine. Il m ’ a dit que dans n ’ importe quel pays du monde il aurait trouvé la possibilité d ’ exploiter ses talents. « J ’ ai vu des Blancs qui m ’ étaient inférieurs en capacités et en intelligence et qui gagnaient cinquante fois plus que moi. » Après un long silence, il m ’ a annoncé d ’ un ton solennel : « Je suis aussi membre de l ’ ANC. » Il m ’ a raconté qu ’ il avait participé à la Campagne de défi en 1952 et qu ’ il avait milité dans des comités locaux à Port Elizabeth. Je l ’ ai questionné sur différentes personnes et il semblait les connaître, et, plus tard, à Port Elizabeth, j ’ ai eu la confirmation qu ’ il me disait la vérité. En fait, c ’ était un des militants les plus sérieux parmi ceux qui étaient allés en prison pendant la Campagne de défi. Les portes de la lutte de libération sont ouvertes à tous ceux qui veulent les franchir.
En tant qu ’ avocat, j ’ avais une assez grande expérience des dossiers criminels et de telles histoires m ’ étaient familières. Je ne cessais de rencontrer des hommes aussi brillants et aussi talentueux que mon compagnon qui avaient recours à la délinquance afin de joindre les deux bouts. Si je pense que certains individus ont des dispositions au crime à cause de leur héritage génétique ou d ’ une mauvaise éducation, je suis convaincu que l ’ apartheid a transformé en criminels beaucoup de citoyens qui sans cela auraient respecté la loi. Il est tout à fait logique qu ’ un système légal injuste et immoral fasse naître le mépris pour ses lois et ses règlements.
Nous sommes arrivés à Port Elizabeth le soir, et Joe Matthews, le fils de Z.K. Matthews, a trouvé de quoi me loger. Le lendemain matin, j ’ ai rencontré Raymond Mhlaba, Frances Baard et Govan Mbeki. Je voyais ce dernier pour la première fois, mais je connaissais son travail car, quand j
Weitere Kostenlose Bücher