Un long chemin vers la liberte
mariée, mais son mariage était toute une histoire. Ma sœur Baliwe, qui était plus âgée que Mabel, avait été fiancée et on avait déjà payé la lobola. Mais quinze jours avant la cérémonie, Baliwe, qui était une fille intrépide, s ’ était sauvée. Nous ne pouvions pas rendre la lobola puisque nous l ’ avions acceptée et la famille a décidé que Mabel prendrait la place de Baliwe.
En fin d ’ après-midi je suis retourné à Mqhekezweni. En arrivant de nuit j ’ ai annoncé ma présence en klaxonnant bruyamment, mais cette fois les gens sont sortis de chez eux en pensant que c ’ était Justice, leur chef, qui revenait. Le gouvernement l ’ avait déposé de sa fonction et il vivait maintenant à Durban. Quelqu ’ un d ’ autre avait été nommé à sa place, mais un chef est un chef de naissance et il n ’ a d ’ autorité que par son sang. Ils étaient contents de me revoir, mais ils l ’ auraient été plus encore d ’ accueillir Justice.
Ma deuxième mère, No-England, la veuve du régent, dormait profondément quand je suis arrivé, mais elle est apparue en chemise de nuit et, quand elle m ’ a vu, elle était si heureuse qu ’ elle m ’ a demandé de la conduire tout de suite chez un parent pour faire la fête. Elle a sauté dans ma voiture et nous sommes partis à travers le veld pour atteindre la hutte éloignée de son parent. En arrivant, nous avons éveillé une autre famille et je suis enfin allé dormir, fatigué et heureux, juste avant l ’ aube.
Pendant les quinze jours suivants je n ’ ai cessé d ’ aller et venir entre Qunu et Mqhekezweni, en restant tour à tour avec ma mère et No-England en allant voir et en recevant des amis et des parents. Je retrouvais la nourriture de mon enfance, je parcourais les mêmes champs, et je contemplais le même ciel le jour, les mêmes étoiles la nuit. Pour un combattant de la liberté, il est important de garder des racines, car le tohu-bohu de la vie en ville a tendance à effacer le passé. La visite m ’ a permis de me retrouver et a fait renaître en moi mon amour pour l ’ endroit où j ’ avais grandi. Dans la maison de ma mère, j ’ étais à nouveau son fils ; dans la Grande Demeure, j ’ étais à nouveau le fils adoptif du régent.
Ma visite me permettait aussi de mesurer la distance que j ’ avais parcourue. Je voyais comment les miens étaient restés au même endroit alors que j ’ avais bougé, vu de nouveaux horizons et acquis de nouvelles idées. Si je ne m ’ en étais pas rendu compte avant, je comprenais que j ’ avais eu raison de ne pas rentrer au Transkei après Fort Hare. Si j ’ étais revenu, mon évolution politique aurait été arrêtée.
Comme on avait ajourné le comité spécial qui examinait la mise en place des Autorités bantoues, Daliwonga et moi, nous sommes allés rendre visite à Sabata à l ’ hôpital d ’ Umtata. J ’ avais espéré évoquer les Autorités bantoues avec Sabata, mais son état de santé m ’ en empêcha. Je voulais que Sabata et son frère Daliwonga commencent à en parler dès que Sabata irait mieux et qu ’ ils éclaircissent les choses. J ’ étais fier d ’ organiser une rencontre entre les descendants de Ngubengcuka, et j ’ ai réfléchi à ce qu ’ il y avait d ’ ironique dans le fait que finalement je remplissais le rôle de conseiller de Sabata pour lequel j ’ avais été formé des années plus tôt.
Depuis Umtata, Daliwonga et moi sommes allés en voiture à Qamata, où nous avons rencontré son jeune frère qui était avocat. Je connaissais bien ses deux stagiaires et je les ai revus avec plaisir : A.P. Mda et Tsepo Letlaka. Tous deux étaient toujours d ’ ardents partisans de l ’ organisation et avaient abandonné l ’ enseignement pour devenir avocats. A Qamata, nous avons parlé du problème des Autorités bantoues.
Ma mission consistait à persuader Daliwonga – un homme destiné à jouer un rôle majeur dans la politique du Transkei – de s ’ opposer à la mise en place des Autorités bantoues. Je ne voulais pas que notre rencontre soit une mise au point, ni même un débat ; je ne voulais aucun discours de tribune, aucun sermon, mais une discussion sérieuse entre des hommes qui avaient à cœur l ’ intérêt de leur peuple et de leur nation.
A bien des égards, Daliwonga me considérait toujours comme son cadet, en fonction à la fois de mon rang dans la hiérarchie des Thembus mais aussi de mon
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