Un long chemin vers la liberte
évolution politique. Si j ’ étais resté effectivement son cadet dans le premier domaine, je pensais qu ’ en politique j ’ avais dépassé mon mentor d ’ autrefois. Alors que ses préoccupations ne concernaient que sa tribu, j ’ étais engagé avec ceux qui pensaient à la nation tout entière. Je ne voulais pas compliquer la discussion en y introduisant de grandes théories politiques ; je comptais sur le bon sens et sur notre histoire. Avant de commencer, Daliwonga a invité Mda, Letlaka et son frère George à participer à l ’ entretien mais ils ont hésité et ont préféré nous écouter. « Que le neveu et l ’ oncle conduisent le débat », a dit Mda en signe de respect. L ’ étiquette voulait que j ’ expose mes arguments le premier sans qu ’ il m ’ interrompe ; il me répondrait ensuite et j ’ écouterais.
Tout d ’ abord, ai-je dit, le système des Autorités bantoues était inapplicable car de plus en plus d ’ Africains quittaient les homelands ruraux pour aller dans les villes. Le gouvernement tentait de mettre les Africains dans des enclaves ethniques parce qu ’ il avait peur de la force de leur unité. Le peuple, ai-je dit, voulait la démocratie et une direction politique basée sur le mérite et non sur la naissance. Les Autorités bantoues étaient un recul par rapport à la démocratie.
Daliwonga m ’ a répondu qu ’ il essayait de restaurer le statut de sa maison royale écrasée par les Britanniques. Il a insisté sur l ’ importance et la vitalité du système tribal et des chefs traditionnels et il refusait de rejeter un système qui contenait ces choses. Lui aussi voulait une Afrique du Sud libre mais il pensait qu ’ il pouvait atteindre son but plus rapidement et de façon pacifique grâce à la politique du gouvernement de développement séparé. L ’ ANC, a-t-il dit, allait déclencher un bain de sang et causer de l ’ amertume. Il a terminé en disant qu ’ il était étonné et troublé que, malgré ma position dans la maison royale thembu, je ne soutienne pas le principe des chefs traditionnels.
Quand Daliwonga eut fini, je lui ai répondu que tout en comprenant très bien sa position personnelle en tant que chef je croyais que ses intérêts étaient en conflit avec ceux de la communauté. Je lui ai dit que si je m ’ étais trouvé dans une position semblable à la sienne j ’ aurais essayé de subordonner mes propres intérêts à ceux du peuple. J ’ ai immédiatement regretté ce que je venais de dire parce que j ’ avais découvert que, dans les discussions, il ne sert à rien de prendre un ton moralement supérieur à son adversaire. J ’ ai remarqué que Daliwonga se raidissait et je suis immédiatement passé à des questions d ’ ordre plus général.
Nous avons parlé toute la nuit, mais nos positions ne se sont pas rapprochées. Nous nous sommes quittés quand le soleil se levait. Nous avions pris des routes différentes qui nous dressaient l ’ un contre l ’ autre. Ceci m ’ attristait parce que peu d ’ hommes m ’ avaient influencé comme Daliwonga et rien ne m ’ aurait donné plus de joie que de me battre à ses côtés. Mais cela ne devait pas être. Sur les questions familiales, nous restions amis, mais sur le plan politique nous nous retrouvions dans des camps opposés.
Je suis rentré à Qunu ce matin-là, où j ’ ai encore passé quelques jours. J ’ ai traversé le veld pour aller voir des parents et des amis, mais le monde magique de mon enfance s ’ était enfui. Un soir, j ’ ai dit au revoir à ma mère et à ma sœur. Je suis allé voir Sabata à l ’ hôpital pour lui souhaiter un prompt rétablissement et à 3 heures du matin je suis parti pour Le Cap. Le clair de lune et le vent m ’ ont tenu éveillé jusqu ’ à la rivière Kei. La route serpentait sur les flancs escarpés des montagnes et quand le soleil s ’ est levé, j ’ ai retrouvé le moral. J ’ avais parcouru cette route pour la première fois dix-huit ans plus tôt, quand Jongintaba m ’ avait conduit au collège à Healdtown.
Je roulais lentement quand je vis un homme qui boitait sur le bord de la route lever la main vers moi. Instinctivement, je me suis arrêté et je lui ai proposé de l ’ emmener. Il avait à peu près mon âge, n ’ était pas très grand et assez négligé ; il n ’ avait pas pris de bain depuis longtemps. Il m ’ a dit que sa voiture était tombée en panne avant Umtata et qu ’ il
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